« Je ne comprends pas. Je ne pense pas que j’ai fait quelque chose de mal. C’est un vrai cauchemar. Ce qu’on vit, ce n’est pas humain », dit Johny Enrique, visiblement ému.
Il a quitté le Salvador en 2014 parce qu’il craignait pour sa vie après avoir refusé d’aider un gang criminel connu sous le nom de Mara-18. Il a vécu quelques années aux États-Unis, mais les politiques du président Donald Trump lui faisaient craindre le pire. Il a donc été interpellé par les appels d’accueil lancés par l’ex-premier ministre du Canada, Justin Trudeau, et a traversé la frontière à Lacolle le 21 février 2018, une date gravée dans sa mémoire.
« J’ai été intercepté à la frontière. On m’a mis les menottes. Malgré ça, je préférais être en prison au Canada que mort dans mon pays », raconte-t-il. Par la suite, il a été libéré le temps que sa demande de statut de réfugié soit traitée.
S’épanouir dans la région
Entre-temps, il a déniché un emploi au Groupe Lacasse à Saint-Pie et s’est installé dans la région maskoutaine. Ses collègues le surnommaient « DJ » parce qu’il traînait toujours une petite radio avec lui pour danser. Mais le Groupe Lacasse, c’est surtout l’endroit où il a connu sa conjointe, Marie-Michelle Lampron, en 2019. Lui parlait espagnol et anglais. Elle ne parlait que français. « Il a travaillé fort! » lance Marie-Michelle en riant.
Leur premier rendez-vous s’est déroulé au cinéma et dans un endroit des plus canadien : le Tim Hortons. « Je n’y allais pas pour le film! se rappelle-t-il. Je n’ai rien compris du film parce qu’il était en français. Le seul mot que je connaissais était le mot “oui” parce que je l’avais entendu dans les films La Panthère rose. Au tout début, on se parlait grâce à des applications de traduction sur nos téléphones. Je ne comprends pas pourquoi elle est avec moi. J’étais un immigrant sans le sou. Je me trouve tellement chanceux », dit-il.
« C’est une personne honnête avec un grand cœur. Il y a une grande confiance dans notre couple, ce qui me manquait dans mes relations passées. Il voit toujours le positif dans chacune des situations. On essaie d’être forts, mais je crois qu’il est plus fort que moi », répond Marie-Michelle.
Ensemble, ils ont eu deux filles, Athena 4 ans et Yohanna 2 ans, pour compléter leur famille qui se composait déjà d’un enfant que Marie-Michelle avait eu d’une relation précédente. Johny Enrique est aujourd’hui la seule figure paternelle des enfants.
Une situation familiale ignorée
Cela aura donc pris sept ans aux autorités canadiennes pour statuer sur la demande de statut de réfugié de Johny Enrique. Celle-ci a été refusée, même en appel. Il devra donc dire au revoir à sa conjointe, à ses deux enfants et à son beau-fils le 21 juin s’il n’arrive pas à faire suspendre la demande de renvoi. Ses parents sont décédés et ses frère et sœur habitent en Italie. Il ne lui reste donc plus rien au Salvador.
Dans la décision d’Immigration Canada, on précise que le processus d’examen des risques pour la sécurité du demandeur d’asile ne prend pas en considération la situation familiale du demandeur. Le gouvernement estime qu’il s’agit d’un facteur se rapportant davantage à des « considérations compatissantes » [traduction libre], loin des critères d’évaluation sur lesquels se base l’examen des risques avant renvoi. Dans le cas d’une demande de statut de réfugié, un mariage n’aurait aucune incidence pour régulariser la situation du demandeur.
Immigration Canada considère aussi que les changements politiques au Salvador ont évolué. Le gouvernement salvadorien a procédé à des arrestations massives d’individus liés aux gangs criminels en 2022. Selon l’instance canadienne, le demandeur d’asile n’a pas réussi à prouver que sa vie serait menacée s’il retournait dans son pays. Elle ajoute même que les craintes de Johny Enrique reposent sur des spéculations. Pour ce dernier, ces conclusions n’ont pas de sens puisque des criminels liés aux gangs ont été libérés depuis 2022.
Dernier recours
L’année dernière, le couple a tenté des démarches pour déposer une demande de parrainage, un processus disponible pour les conjoints de fait. Le parrain s’engage ainsi à subvenir financièrement aux besoins essentiels de l’immigrant. Avec les frais d’avocats et le dépôt exigé par le gouvernement du Canada, ce processus est toutefois onéreux. À ce moment, Marie-Michelle et Johny Enrique avaient décidé d’économiser la somme d’argent nécessaire pour enclencher le processus.
Constatant l’urgence, ils déposeront une demande cette semaine. Ils souhaitent surtout obtenir une suspension du renvoi en attendant le traitement de la demande de parrainage qui pourrait s’étirer jusqu’à 36 mois, selon le site Internet d’Immigration Canada.
Le député de Saint-Hyacinthe–Bagot–Acton, Simon-Pierre Savard-Tremblay, a été contacté par le couple, mais il n’avait pas encore été à sa rencontre au moment de mettre sous presse. L’élu a préféré attendre de connaître l’ensemble du dossier avant de commenter.