1 septembre 2022 - 07:00
Litige entre l’OHMA et Construction R.G.P. Brouillard
« Ils prennent les sous-traitants en otage »
Par: Sarah-Eve Charland
Le chargé de projet chez Construction Isocèle, Pierre-Olivier Marcotte, et la propriétaire de Goupro Aluminium, Annie Provencher, réclament le règlement du litige le plus rapidement possible. Photo François Larivière | Le Courrier ©

Le chargé de projet chez Construction Isocèle, Pierre-Olivier Marcotte, et la propriétaire de Goupro Aluminium, Annie Provencher, réclament le règlement du litige le plus rapidement possible. Photo François Larivière | Le Courrier ©

Alors que l’Office d’habitation des Maskoutains et d’Acton (OHMA) loue les logements de l’immeuble Le Concorde depuis décembre dernier, le litige avec l’entrepreneur Construction R.G.P. Brouillard traîne en longueur, affectant ainsi les finances des entreprises en sous-traitance qui attendent toujours d’être payées.

Près de neuf mois après le dépôt d’une hypothèque légale par l’entrepreneur général, le conflit n’est toujours pas réglé. Selon le document déposé en novembre 2021, Construction R.G.P. Brouillard réclame 1,5 M$ en sommes impayées, incluant celles dues aux entreprises sous-traitantes. Dès le dépôt de ce document légal, l’OHMA a arrêté tous les paiements en expliquant que l’hypothèque légale bloquait l’accès à sa marge de crédit.

Parmi les sous-traitants, Construction Isocèle de Saint-Hyacinthe s’est occupée de la charpente de bois et des revêtements métalliques. L’entreprise a travaillé pendant près d’un an sur le chantier. Tout se passait bien. Les factures étaient envoyées périodiquement pour être approuvées. Les paiements suivaient dans des délais raisonnables. La situation s’est toutefois gâtée lorsque l’entrepreneur général a déposé une hypothèque légale.

Un an plus tard, les développements se font toujours attendre et les sous-traitants demeurent dans l’ignorance. « Ils prennent les sous-traitants en otage alors que le litige touche des travaux qui ne nous concernent pas. Le bâtiment a été livré en bonne et due forme. D’une certaine façon, ce sont les entreprises en sous-traitance qui le financent. […] J’ai de la difficulté avec le discours de l’OHMA puisqu’elle occupe le bâtiment. Elle l’utilise. C’est une grosse créance pour une petite business comme la nôtre », mentionne le chargé de projet chez Construction Isocèle, Pierre-Olivier Marcotte.

Selon la compréhension des sous- traitants, un conflit est survenu entre l’organisme et l’entrepreneur général sur la construction du stationnement. L’OHMA a fini par embaucher une autre entreprise pour terminer ses travaux touchant cette infrastructure.

L’inauguration du bâtiment en mai a toutefois ravivé la frustration des sous-traitants. En présence de la députée Chantal Soucy et d’élus municipaux, l’OHMA avait convoqué les médias pour une visite des lieux et ainsi annoncé l’ouverture de l’immeuble. « Ils ont pris des photos tout sourire. Ils sont heureux, ils peuvent louer les logements. Mais nous, on attend depuis octobre de se faire payer », ajoute le propriétaire de Plombexel, Stéphane Nadeau.

À l’instar des autres entreprises en sous-traitance, il a dû avancer des fonds pour payer ses employés et les matériaux pendant les travaux. Les entreprises devaient entre autres fournir des preuves de quittance au moment des demandes de paiement, une fois par mois.

L’entreprise qui a installé la plomberie et les systèmes d’eau chaude a aussi enregistré une hypothèque légale de 98 046,38 $. En plus de manquer le paiement du dernier mois, les 10 % de retenues prélevées tout au long du processus en attendant la confirmation de la conformité des travaux ne sont toujours pas acquittés. Pour le propriétaire, il était important de se protéger quand il a constaté qu’une nouvelle entreprise avait obtenu le contrat pour aménager le stationnement. « Je ne savais plus ce qui se passait avec Construction R.G.P. Brouillard. Je n’avais pas le choix », assure M. Nadeau.

Les entreprises Armoires de cuisine Rive-Nord et Construction Michel Gagnon ont aussi enregistré une hypothèque légale. Celles-ci s’élèvent respectivement à 78 897,96 $ et 149 018,74 $.

La propriétaire de Goupro Aluminium, Annie Provencher, se retrouve dans le même bateau. L’entrepreneur général ne lui a pas payé 80 000 $ de son contrat, représentant près du tiers des travaux, en plus des 10 % de retenues. Elle a d’ailleurs envoyé une mise en demeure à l’entrepreneur général, mais n’a pas eu de nouvelles. « Les travaux ont été acceptés et approuvés. Qu’on débloque les sommes. C’est beaucoup trop. Ç’a de l’impact sur mon fonds de roulement et sur l’achat des matériaux pour mes prochains projets », souligne-t-elle.

Le propriétaire de Axar électrique, Pierre-Frédéric Beauregard, ajoute que la somme qui lui manque représente sa part de profit, soit environ 15 % du contrat. « Ça crée un trou dans le cashflow de l’entreprise. […] Je ne dis pas qu’une personne ou l’autre a raison. J’ai une bonne relation autant avec l’entreprise [Construction R.G.P. Brouillard] que l’OHMA. Je comprends la situation. C’est juste dommage qu’on fasse les frais d’une querelle. Avec de la bonne volonté, habituellement, on arrive à régler des affaires. »

Le directeur général de l’OHMA, Jean-Claude Ladouceur, assure comprendre la frustration de ces entrepreneurs. « On trouve ça malheureux pour les sous-traitants qui ont fait un beau travail. On leur doit cet argent et on va les payer dès qu’on va être capable de le faire. C’est frustrant autant pour nous que pour eux. »

Pourquoi pas un fidéicommis?

Pour Pierre-Olivier Marcotte, des solutions, il y en a. Pourquoi ne pas utiliser un compte en fidéicommis pour transférer les paiements, propose-t-il. « Ils pourraient user de créativité pour payer les sous-traitants en utilisant, par exemple, un fidéicommis. On prend un notaire neutre qui s’occupe de la quittance. C’est un principe que j’ai déjà utilisé avec succès. C’est d’autant plus frustrant. »

Le directeur général de l’OHMA affirme avoir fait la suggestion aux avocats, mais que l’idée n’a pas été retenue par la Société d’habitation du Québec (SHQ). « La SHQ a refusé. Elle a aussi son contentieux. Pour elle, ce n’est pas sa première expérience », répond M. Ladouceur.

Un problème juridique

M. Ladouceur maintient son discours. L’OHMA ne pourra pas payer l’entrepreneur général tant que l’hypothèque légale sera en vigueur. La SHQ a également enregistré une hypothèque légale afin de protéger son investissement.

« L’entrepreneur nous dit : payez-nous et on va enlever l’hypothèque légale. À partir du moment qu’il y a une hypothèque légale, on ne peut pas juste payer. Ce n’est pas ça qu’on me dit [par mes avocats]. Je ne peux pas le faire. L’argent est à la banque. Il va être payé », souligne le directeur général de l’OHMA.

Une rencontre avec les avocats et l’entrepreneur général est prévue en septembre. M. Ladouceur espère que le dossier progressera à ce moment. Il souligne toutefois que le litige demeure plus complexe qu’un simple paiement puisque les deux parties ne s’entendent pas sur d’autres aspects du contrat. Selon M. Ladouceur, l’entrepreneur général n’a pas accompli tout ce qui était prévu dans le contrat, comme l’aménagement du stationnement. Si tout reste au point mort, le litige devra se rendre à la Cour supérieure où un juge tranchera la question.

L’entrepreneur général Construction R.G.P. Brouillard a préféré ne pas répondre aux questions du COURRIER puisque des démarches juridiques sont en cours, mais a souligné que certains éléments mis en lumière par les sous-traitants étaient erronés, sans toutefois préciser lesquels.

Le Concorde accueille des résidents depuis décembre 2021. L’immeuble regroupe 52 unités de logements sociaux et d’hébergement pour personnes en situation d’itinérance. Le projet représente un investissement de 7,4 M$.

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