5 août 2021 - 07:00
Dossier Exceldor à Saint-Hyacinthe
La CPTAQ courbera-t-elle l’échine?
Par: Le Courrier

L’appel du premier ministre Legault d’août 2020 en faveur de l’implantation d’un vaste abattoir avicole par la coopérative Exceldor dans la zone agricole de Saint-Hyacinthe semble avoir été entendu au sein même de l’instance censée protéger ces terres, la Commission de protection du territoire agricole du Québec (CPTAQ).

En 2019, la Ville de Saint-Hyacinthe essuyait un refus à sa demande pour exclure 26 hectares de terres d’excellente qualité pour l’expansion d’un parc industriel. La MRC des Maskoutains reprenait cette demande l’année suivante, insistant sur une dizaine d’hectares pour relocaliser et agrandir l’abattoir d’Exceldor de Saint-Damase, située à 13 kilomètres. La CPTAQ émettait en juin 2020 une orientation préliminaire de refus, en rappelant les motifs du refus de 2019.

La demande a ensuite été modifiée : à défaut d’exclusion, la MRC se contenterait d’une autorisation pour un usage non agricole sur des terres qui resteraient en zone agricole. Le 16 juin dernier, la CPTAQ modifiait sa position : elle envisage maintenant d’autoriser l’implantation de l’abattoir en zone agricole sur 10 hectares.

Cette nouvelle mouture de la demande est une entourloupette qui a tout du cheval de Troie. Les documents consultés indiquent qu’Exceldor prévoit augmenter encore la capacité de l’abattoir dans l’avenir et que Saint-Hyacinthe a déjà dans son sac d’autres projets industriels.

La couleuvre est grosse à avaler. L’argumentaire de la récente orientation préliminaire de la CPTAQ est bancal et incohérent par rapport au solide raisonnement de sa position de 2020 et au refus de 2019. Concrètement, l’impact déstructurant sur la zone agricole est équivalent. Et essayez donc de faire pousser du maïs sur des terres « protégées » où seraient construits une usine et son stationnement! Pourtant, des sites alternatifs existent, notamment dans la MRC, en Montérégie et dans le Centre-du-Québec.

En août 2020, le premier ministre avait commenté ce dossier, déplorant l’attitude de la CPTAQ, une instance quasi judiciaire. Il suggérait même que les élus locaux devraient avoir un plus grand mot à dire pour « dézoner » des terres agricoles. Ce serait là un retour en arrière d’au moins 40 ans, à l’ère des « maires développeurs », grands dilapidateurs de terres agricoles. Heureusement, les réactions du public, dont celle de la fédération régionale de l’UPA, ont tué dans l’œuf toute velléité de substituer un décret gouvernemental à la décision de la CPTAQ.

Toutefois, quand le premier ministre a aussi clairement indiqué son mécontentement, on peut s’interroger sur le degré d’indépendance de commissaires tiraillés entre leur devoir et leur carrière. Ce revirement de la CPTAQ illustre la fragilité d’institutions dont les membres sont nommés par le Conseil des ministres, plutôt que par l’Assemblée nationale, comme le Directeur général des élections. Il peut être risqué de rendre des décisions à l’encontre du gouvernement. L’une des commissaires concernées a été récemment renouvelée; l’autre est en attente…

L’entêtement d’Exceldor laisse songeur quant à sa vision corporative et à sa sensibilité au territoire agricole. Qu’une entreprise agroalimentaire, coopérative de surcroît, s’acharne autant à vouloir détruire de riches terres agricoles reflète aussi une déconnexion de ses décideurs face aux actuels enjeux de société, comme notre autonomie alimentaire. Les membres producteurs adhèrent-ils vraiment à ce projet toujours farouchement combattu par la fédération régionale de l’UPA, tandis que [la MRC] réclame encore trois hectares additionnels?

Les exemples de déconnexion de l’agrobusiness sont multiples : la demande pour accroître les niveaux de pesticides tolérés dans nos aliments, l’ajout de résidus d’huile de palme dans l’alimentation des vaches laitières et d’autres encore… Tout cela démontre une distanciation, sinon un mépris, des grandes tendances vers une filière alimentaire à échelle plus humaine, plus soucieuse de santé, d’environnement et d’acceptabilité sociale. Cette attitude pave la voie à un formidable « backlash » lorsqu’une goutte fera déborder le vase.

Espérons que la CPTAQ résistera aux tendances prédatrices de l’agrobusiness envers le territoire agricole.

Hélène Alarie, première femme agronome au Québec, ex-commissaire à la CPTAQ

Jacques Landry, agronome, ex-directeur du Service de la protection du territoire agricole au MAPAQ lors de l’adoption de la LPTAA

Simon Bégin, ex-attaché de presse de Jean Garon

Claire Binet, géographe, ex-analyste CPTAQ, MAPAQ, UPA et Agriculture Canada

Le Collectif Voix citoyenne, Québec

Hubert Lavallée, Protec-Terre

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