À compter du 1er juin, la loi exigera que les produits en vente au Québec, incluant leur emballage et leur affichage, soient majoritairement en français. Une obligation difficile à satisfaire dans une industrie où la majorité des instruments et accessoires proviennent de fabricants internationaux et sont rarement traduits.
Tristan Brassard-Tremblay, gérant du Centre de musique Victor, se dit pleinement favorable à la protection du français, mais juge certaines exigences irréalistes dans son domaine. Il craint que les consommateurs se tournent vers les grandes chaînes comme Amazon ou Best Buy, au détriment des commerces locaux.
« Les produits traduits sont rares, et quand ils le sont, c’est souvent partiellement et seulement sur l’emballage, explique-t-il. Les termes techniques, comme “Overdrive”, “Fuzz” ou “Treble”, sont universels en musique et n’ont pas toujours d’équivalents en français. »
M. Brassard-Tremblay souligne également que les instruments électroniques – pianos, claviers ou processeurs d’effets – possèdent souvent des interfaces uniquement en anglais. Pour les commerçants, obtenir des versions traduites relève souvent de l’impossible.
L’échelle du marché québécois est un autre obstacle. Selon M. Brassard- Tremblay, des géants comme Fender n’investiront pas pour adapter leurs produits à un marché représentant moins de 1 % de leurs ventes mondiales. « Nous sommes un petit marché dans une niche spécialisée. Ce n’est pas réaliste d’exiger que les fabricants modifient leur production pour nous. »
Le gérant souligne que si les détaillants indépendants ne peuvent plus vendre certains produits à cause de l’affichage, plusieurs pourraient devoir fermer leurs portes. Ce serait aussi un coup dur pour les écoles de musique, souvent rattachées à ces commerces.
« Le domaine de la musique souffre encore des effets de la pandémie. Embaucher une personne à temps plein pour traduire les contenus ou modifier les emballages est impensable pour une PME comme la nôtre », déplore-t-il.
M. Brassard-Tremblay juge également que les délais de mise en œuvre des nouvelles mesures de la loi 96 sont particulièrement serrés. Il estime que le gouvernement a adopté la loi de manière précipitée, sans avoir pris le temps d’en évaluer toutes les ramifications pour des commerces spécialisés comme le sien.
« Si j’ai bien compris le nouveau règlement, à compter du 1er juin, il ne sera plus possible de commander des produits dont l’affichage n’est pas conforme. Nous aurons jusqu’en 2027 pour écouler le stock déjà en magasin », a précisé le commerçant maskoutain.
M. Brassard-Tremblay craint aussi une concentration du marché entre les mains des grandes bannières capables de se conformer à la loi, au détriment des petites entreprises locales. Il interpelle donc les élus pour qu’un accompagnement soit mis en place.
Il a notamment rencontré la députée de Saint-Hyacinthe, Chantal Soucy, pour lui faire part de ses inquiétudes. Cette dernière, tout en réaffirmant son appui à la loi 96, a reconnu certaines zones grises dans son application.
« J’ai rencontré M. Brassard-Tremblay et je pense avoir répondu à ses préoccupations. L’objectif n’est pas de rendre la tâche impossible. Je ne pense pas qu’il y a des inquiétudes à avoir. L’Office québécois de la langue française accompagnera les commerçants, et des précisions seront apportées sous peu par le ministre Jean-François Roberge », a-t-elle déclaré.
D’ici là, les détaillants de musique comme le Centre de musique Victor espèrent que les autorités prendront en compte la réalité de leur industrie afin d’éviter que la francisation ne se fasse au détriment de la culture musicale québécoise.