11 mai 2023 - 07:00
Reportages à Radio-Canada
Saint-Hyacinthe interpelle l’ombudsman
Par: Sarah-Eve Charland
La Ville de Saint-Hyacinthe a dû dépenser des sommes supplémentaires pour disposer du digestat produit à l’usine de biométhanisation. Photothèque | Le Courrier ©

La Ville de Saint-Hyacinthe a dû dépenser des sommes supplémentaires pour disposer du digestat produit à l’usine de biométhanisation. Photothèque | Le Courrier ©

La Ville de Saint-Hyacinthe a déposé une plainte formelle envers Radio-Canada et ses journalistes pour deux reportages sur les risques d’utiliser les boues municipales comme fertilisant dans les champs. La Ville estime que ces reportages ont instauré un sentiment de peur et de panique ayant eu des effets sur la capacité de la Ville à valoriser les boues municipales et les matières résiduelles d’usines agroalimentaires.

Dans la plainte déposée à l’ombudsman, dont nous avons eu copie, la Ville demande la publication d’un communiqué étalant des informations qu’elle juge erronées concernant les biosolides. Elle ajoute que les journalistes des reportages diffusés à La semaine verte et à Enquête ont « grandement exagéré les risques associés à l’épandage de ces produits québécois sur des terres agricoles ». Elle demande aussi de retirer les reportages de toutes plateformes de visionnement.

Les reportages racontaient que des agriculteurs américains, situés dans l’État du Maine, avaient tout perdu après avoir eu recours à des boues municipales, où se trouvaient des PFAS, dits contaminants éternels, pour fertiliser leurs champs. Selon Saint-Hyacinthe, les journalistes ont laissé entendre qu’il existe un risque de contamination avec les boues municipales.

« Cette situation est particulièrement choquante dans le contexte où le digestat produit par l’usine de biométhanisation de la Ville de Saint-Hyacinthe a été analysé en 2020 et en 2022 par un laboratoire agréé pour tenter d’y déceler la présence de PFAS. Le rapport indique que les résultats se situent sous la limite de détection de l’appareil », indique-t-on dans la plainte.

On ajoute que le reportage de La semaine verte donne aussi une place démesurée à la présence de plastiques dans le digestat produit par l’usine de biométhanisation de Saint-Hyacinthe, notamment en diffusant des plans rapprochés de résidus de plastiques dans le digestat et des contenants de yogourt broyés. La Ville soutient que le digestat n’en contient qu’une quantité infime et conforme aux normes gouvernementales.

« Cela fait en sorte que l’auditoire ne peut qu’en conclure que le digestat contient des tonnes de plastiques qui sont ensuite envoyées au champ. Or, c’est complètement faux. L’étape suivante consiste à extraire le plastique de sorte que seuls les microplastiques demeurent dans le digestat en quantité inférieure aux normes du ministère. Les journalistes ont d’ailleurs filmé cette étape du processus de fabrication lors du tournage du reportage, mais l’ont volontairement omis dans le montage », peut-on lire dans le document.

Ce processus permet de réduire à moins de 1 % la proportion de matières non organiques. Notons toutefois que cette information a été mentionnée dans le reportage. Au début du mois de mars, le conseil municipal a autorisé une dépense de 150 000 $ pour installer des équipements de désemballage et de séparation de contenants de plastique, métal et autres.

On déplore dans la plainte que la journaliste de La semaine verte n’ait pas spécifié l’angle du reportage lorsqu’elle est venue visiter les installations maskoutaines. Selon la Ville, le sujet de la contamination aux PFAS y avait été abordé de manière superficielle. « La Ville de Saint-Hyacinthe a accepté de participer au reportage de bonne foi, pour mettre en valeur un processus avant-gardiste, sécuritaire et bénéfique pour l’ensemble de la population. »

Dommages collatéraux

Les dommages collatéraux s’accumulent. Plusieurs agriculteurs ont annulé leurs commandes de digestat, poussant la Ville à utiliser des solutions alternatives pour en disposer. La Ville a autorisé une nouvelle dépense supplémentaire pour disposer du digestat pendant le mois d’avril puisqu’il lui était impossible de livrer la matière dans les champs pendant la période de dégel. En ajoutant les dépenses autorisées en mars, la Ville aura dépensé près de 361 500 $ pour disposer et transporter les tonnes de digestat qui s’accumulent au Centre de valorisation des matières organiques dans le parc Théo-Phénix. Les frais supplémentaires au transport et à la réception du digestat représentent l’entièreté des dommages collatéraux, assure la directrice générale de la Ville de Saint-Hyacinthe, Chantal Frigon.

Les mandats, qui s’étalaient sur deux ans, de transport à JMV Environnement et de réception à Englobe sont arrivés à échéance. La Ville a lancé un appel d’offres visant à regrouper les services de réception et de transport dans un même contrat. La Ville de Saint-Hyacinthe a donné le contrat à Englobe Environnement à la hauteur de 725 204,81 $. Le mandat qui s’étend sur six mois pourra être renouvelé à deux reprises, une première fois à 701 002,58 $ et une deuxième fois à 655 127,55 $. Le contrat précédent s’étalait sur deux ans. L’idée est de s’adapter aux impacts variables touchant la filière de biométhanisation.

Au cours du mois de mars, la Ville a réussi à convaincre huit agriculteurs, de la région et d’ailleurs, d’utiliser le digestat comme fertilisant. Cela a permis de valoriser 1600 tonnes. « Je suis allé à l’assemblée générale annuelle de l’Union des producteurs agricoles (UPA) de la Montérégie. On sent qu’on va retrouver leur confiance peu à peu. La production du lisier de porc, utilisé comme fertilisant, n’est pas suffisante dans la région. On risque d’avoir une plus grande demande de notre digestat. C’est une bonne nouvelle. C’était une belle rencontre », a affirmé le maire de Saint-Hyacinthe, André Beauregard.

La Ville de Saint-Hyacinthe compte attendre une réponse de l’ombudsman avant d’évaluer la possibilité d’entamer une poursuite civile. Le délai de prescription pour lancer une poursuite en diffamation est d’un an après la connaissance des propos jugés diffamatoires.

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