Vivre au quotidien
Tel qu’abordé dans la dernière chronique, c’est au tournant des années 1950 que l’on trouve les premiers signes de conscientisation des citoyens de Saint-Hyacinthe face au phénomène de la pollution. Parallèlement à sa prise en charge par les autorités municipales et gouvernementales, il est possible de constater que c’est aussi dans la vie de tous les jours que prend forme l’intériorisation du concept de pollution chez les Maskoutains. L’exemple de la gestion des déchets en zone urbaine expose bien cette cohabitation au quotidien du problème de contamination de l’air.
En juin 1949, le Dr Marc Bergeron, directeur de l’Unité sanitaire des comtés de Saint-Hyacinthe et Rouville, reçoit une plainte de la supérieure générale des sœurs Sainte-Marthe situées à Saint-Joseph. Cette dernière y explique que : « [d]ans un voisinage très rapproché de notre couvent, il existe une espèce de dépotoir où l’on reçoit et brûle les immondices […] provenant des restaurants et magasins de la ville. On choisit de préférence les fins de semaine pour nous régaler de cette puanteur ». Elle prend soin de souligner aussi que les odeurs nauséabondes « […] sont insupportables à nos malades qui se trouvent dans l’obligation de fermer leur fenêtre ». Face à cette situation, le Dr Bergeron constate que le dépotoir n’est pas conforme aux règlements d’hygiène. Selon lui, les fumées et les odeurs qui s’y dégagent représentent une nuisance pour la population des alentours. « De plus, le feu chasse la vermine du dépotoir et celle-ci se dirige vers les habitations environnantes. Les règlements provinciaux d’hygiène […] demandent que les vidanges dans un dépotoir soient recouvertes de chaux tous les jours et chaque mois d’au moins un pied de terre ».
La présence en ville d’une décharge peut également être source de danger pour les citoyens. Le 20 août 1951, M. Rudner, propriétaire de la cour à rebuts située sur la rue Sainte-Marie, est à l’origine d’un événement peu commun. À la suite d’une manœuvre imprudente, un produit gazeux s’échappe d’un cylindre présent dans sa cour et pénètre dans les maisons avoisinantes. Dans le rapport du chef de police de Saint-Hyacinthe, on peut lire que « […] les personnes dans ces maisons ne s’en sont aperçues que trop tard et elles en sont devenues malades. Heureusement, ce gaz n’était aucunement mortel ». En tout, 19 personnes ont dû être transportées à l’Hôpital Saint-Charles. Pour amoindrir les risques, les autorités traînent le cylindre jusqu’à la rivière pour qu’il finisse de s’y vider.
Tout au long des années 1950, l’incinérateur municipal, dont la construction se termine en 1953, fait l’objet de plusieurs plaintes. La première, datant d’octobre de la même année, provient de résidents du quartier de l’Annexe. Ils demandent que la cheminée de l’incinérateur soit surélevée et qu’un filtre y soit installé. Entre juin 1955 et novembre 1959, ce sont les citoyens de la municipalité de Saint-Joseph qui se plaignent de la fumée et des odeurs qui en émanent.
Dans un rapport de l’ingénieur Robert Hamel, datant de 1956, on peut lire que : « [l]’ennui principal est causé par des déchets [de] papier noirci, genre de suie, s’échappant de la cheminée de l’incinérateur et s’écrasant surtout sur le linge, les jours de lavage ». M. Hamel spécifie que quelques femmes lui ont avoué qu’elles ne lavent plus les lundis pour ne pas être obligées de recommencer deux fois. Il soutient également que ces désagréments sont dus : « […] au fait que les employés, avant de terminer leur journée, remplissent l’incinérateur à ras bord, ferment tout, et s’en vont chacun chez eux […] ». Selon lui, cette pratique : « […] a pour effet que les vidanges brûlent lentement et en s’amortissant, la fumée devient plus dense et comme ces déchets sont plus souvent humides que secs, il s’en dégage des odeurs, lesquelles mêlées à la fumée provoquent des sautes d’humeur dans cet arrondissement ». En septembre 1966, devant un nombre important de plaintes, les autorités maskoutaines en viennent à fermer les portes de cet établissement.
Au final, l’histoire de la pollution de l’air au tournant des années 1950 montre les premières constatations d’une conscientisation de la population face à la contamination de son environnement. À travers tous les règlements, les plaintes et les rapports recensés dans le présent article, il a été possible de montrer que la pollution est essentiellement abordée d’un angle anthropocentrique par les acteurs de l’époque, c’est-à-dire qu’elle est dénoncée surtout pour les torts qu’elle cause au milieu de vie de ces gens.