Originaire de la Colombie-Britannique, mais ayant élu domicile à Montréal il y a près de 30 ans, Karilee Fuglem utilise comme matériau de base le très subtil : un courant d’air ou un filet de lumière passant par la fenêtre. Il suffit d’entrer chez Expression pour comprendre l’étendue de la démarche de l’artiste, qui n’utilise aucun éclairage artificiel pour illuminer ses créations. « J’en suis venue à préférer la variabilité et les “sautes d’humeur” de la lumière naturelle », soutient-elle.
Ainsi, l’impressionnant A continuous thread, un fil de nylon long de plusieurs kilomètres forme une toile presque invisible au milieu d’une pièce sombre. Seuls de petits trous dans le mur laissent entrer un peu de lumière permettant à l’œil d’admirer le subtil travail de tissage qui s’est échelonné sur cinq ou six mois, alors que l’artiste était en deuil du décès de sa mère. Par contre, le coucher de soleil rend le travail presque invisible. « L’œuvre rappelle qu’une personne peut être là, puis disparaître. C’est un peu comme la présence de ma mère », précise Mme Fuglem d’un ton posé. Ce n’est que la deuxième fois que A continuous thread est exposé, parce que l’artiste ne se sentait pas capable émotivement de le faire plus tôt.
Si un fil est encore très tangible, d’autres œuvres exploitent carrément l’air. C’est le cas de plusieurs installations de bandes de papier, qui bougent au moindre courant d’air et qui réagissent vivement au déplacement des visiteurs. Ces bandes ne sont jamais placées au hasard et les couloirs d’air ont été analysés par Mme Fuglem qui a apprivoisé les lieux pendant une semaine avant de finaliser l’exposition à Expression. Cela a donné naissance à l’œuvre in situ Expression, imaginée spécifiquement pour mettre en valeur la circulation naturelle de l’air et de la lumière sur ces lieux.
Intériorité
D’autres exploitent la lumière et le passage du temps, comme une série de vidéos présentant, de façon contemplative, des images pourtant banales : les ombres des arbres sur le sol, les reflets sur l’eau, les variations de la lumière sur un trottoir… Pendant une trentaine de minutes, il est possible d’admirer ces choses simples de la vie qui nous passent quotidiennement sous les yeux. Karilee Fuglem ne s’estime pas très spirituelle dans son art, mais vise plutôt « l’intériorité » et espère émouvoir le public qui ne doit pas chercher à comprendre les œuvres avec la raison pour pleinement les apprécier. On a déjà mentionné à l’artiste qu’une de ses créations rendait « conscient du poids, du poids de l’air, de nos corps qui déplacent cet air, du poids des ombres, de l’obscurité et des émotions ».
Conditions existantes de Karilee Fuglem est présentée à Expression depuis le 27 mai, mais y restera tout l’été, jusqu’au dimanche 13 août. Voilà l’occasion de redécouvrir des éléments banals du quotidien, des « petites choses sans importance » qui trouvent pourtant tout leur sens dans ce contexte.