Il y a 50 ans aujourd’hui, le chef de police Donald Martin était abattu en pleine rue au terme d’une intervention de routine qui a mal tourné. C’est par devoir de mémoire, pour que le souvenir de Donald Martin reste bien vivant, que Mme Filion a généreusement accepté pour la toute première fois de revenir sur ces tristes événements.« Je n’ai jamais eu l’occasion d’en parler, même avec la famille. C’est un sujet que nous n’abordions pas. J’ai dû apprendre à composer avec ça, même si à l’époque j’aurais voulu m’endormir pour au moins dix ans tellement c’était douloureux. »
Malgré ses 84 ans qu’elle ne fait pas, Mme Filion n’a rien oublié de cette tragique et chaude nuit d’été 1967. Elle se souvient que la sonnerie du téléphone s’était fait entendre à deux reprises en pleine nuit au domicile de la famille Martin à propos de Ghislain Simard, 24 ans, qui s’amusait à narguer les policiers en voiture.« Donald a finalement décidé de se lever. Il savait à qui il avait affaire et il croyait être en mesure de le raisonner rapidement. En sortant il m’a dit : « Je reviens vite, ce ne sera pas long… » Il était beau dans son uniforme… »
Jamais ils n’auraient pu prévoir le drame qui allait se jouer quelques minutes plus tard au centre-ville. L’enquête du coroner a permis d’établir que l’officier a tiré un coup de semonce et deux coups en direction des pneus de l’automobile de Simard, stoppant sa course. C’est en approchant du véhicule que Donald Martin aurait reçu une décharge de carabine .303 en pleine poitrine. Il répliqua par un coup de feu qui atteignit le tireur. L’échange fut fatal au chef Martin, âgé de 36 ans, et à Ghislain Simard.
La visite du vicaire
« Mon mari ne pensait jamais aux dangers et à la mort. Ce métier, c’était sa grande passion. Policier à temps partiel la fin de semaine depuis 1953, il était devenu chef en 1963. Il connaissait tout le monde à Acton, même les plus turbulents. C’est ce qui lui permettait de désamorcer toutes les situations, même les plus corsées. »
Béatrice Filion admet cependant qu’elle avait toujours bien hâte de voir son homme rentrer à la maison. Sauf que cette fameuse nuit, c’est le vicaire qui a sonné à sa porte. « J’ai tout de suite compris. Mes cris ont réveillé les petits , raconte Mme Filion en échappant quelques larmes. Puis, le maire Henri Boisvert est arrivé pour me dire que la municipalité ne nous laisserait pas tomber les enfants et moi. Mon mari a été exposé à l’hôtel de ville. On a estimé à 5000 personnes le nombre de gens, policiers et dignitaires qui lui ont rendu un dernier hommage. C’était quelque chose à voir. »
La date du 29 juin est d’ailleurs une date maudite pour la municipalité d’Acton Vale. Outre le décès de Donald Martin en 1967, on retiendra exactement 31 ans plus tard l’incendie de l’usine Peerless du 29 juin 1998, qui a coûté la vie au directeur du service des incendies Michel Daragon et au pompier Jacques Houle.
La vie continue
Béatrice Filion n’a pas suivi l’enquête du coroner qui s’est déroulée à peine trois semaines plus tard et qui a attribué le décès du chef Martin à la seule faute de Simard. « Je n’ai jamais entretenu de rancune à l’égard de sa famille. Et avec six enfants de 3 à 13 ans sur les bras, je n’avais pas le temps de m’apitoyer sur mon sort. Donald n’aurait pas accepté ça et il m’a plutôt donné le courage de relever les épaules et d’avancer. Je pleurais à la maison, mais je m’efforçais de sourire en public, d’être forte et courageuse. J’étais pour certains la Jacqueline Kennedy d’Acton Vale », ajoute-t-elle en référence à l’épouse du président américain assassiné à Dallas en 1963.
Au niveau financier, Mme Filion n’a jamais voulu susciter la pitié, comptant d’abord sur l’aide des siens et de ses beaux-parents. Comme les policiers valois ne bénéficiaient d’aucune assurance collective ni d’aucuns fonds de pension, elle a touché le salaire de son mari, soit l’équivalent de 125 $ par semaine pendant trois mois, soit jusqu’à l’embauche d’un nouveau chef. En tout et partout, elle a reçu une indemnisation globale de 6000 $, son mari étant décédé dans un accident de travail.
Un combat politique
La situation de la famille Martin a plutôt incité le conseil municipal à faire pression sur les politiciens pour qu’ils revoient la législation. Le député libéral de Montréal-Saint-Louis, Harry Blank, appuyé par son collègue Claude Wagner, épousa cette cause. Tant et si bien que l’affaire Donald Martin servira de prémisse à un grand débat sur l’indemnisation des victimes d’actes criminels à l’Assemblée nationale en avril 1969, au terme duquel on votera le versement d’une rente annuelle de 5000 $ à la veuve de Donald Martin. Ce débat aux origines valoises débouchera ensuite sur l’adoption de la Loi sur l’indemnisation des victimes d’actes criminels au Québec en 1972.
Ironiquement, Mme Filion n’a jamais reçu le moindre dollar en lien avec cette décision politique puisque cette rente conditionnelle ne pouvait être versée qu’aux veuves non remariées.
La Providence et son Donald se chargeront de lui venir en aide en plaçant un autre homme doux et bienveillant sur sa route « Un ange envoyé du ciel », dira Mme Filion à propos d’André Désautels, qu’elle épousera en secondes noces le 28 juin 1969, soit deux ans presque jour pour jour après le terrible drame. « Me séparer de mes enfants et les placer en adoption n’a jamais été une option et André n’a jamais été un père de remplacement. Il a simplement continué ce que Donald avait commencé. Personne n’a jamais manqué d’amour. »
Les six enfants de Mme Filion, ses huit petits-enfants et ses six arrière-petits-enfants s’étaient justement donné rendez-vous, dimanche à Acton Vale, pour souligner le 50e anniversaire du décès de Donald Martin. Mme Filion en a profité pour donner à deux de ses fils le chapelet et l’anneau de mariage de leur père, et à son petit-fils Louis, aujourd’hui policier au Service de police de la Ville de Montréal, la plaque de police de son grand-père. « Elle va le protéger », a conclu Mme Filion.