En prévision de ces grands bouleversements qui s’annoncent, la supérieure générale des Adoratrices, Sr Micheline Proulx, a généreusement accepté de recevoir LE COURRIER pour partager ses émotions et nous guider à travers les corridors du monastère chargé d’histoire, où les laïcs n’ont pas souvent mis les pieds.
Il faut savoir que la congrégation des Adoratrices du Précieux-Sang a été fondée chez nous par Catherine-Aurélie Caouette le 14 septembre 1861 en tant que toute première communauté contemplative au Canada. Celles qui choisissaient cette voie acceptaient par le fait même de vivre toute leur vocation cloîtrée au monastère, en offrant leurs prières au monde extérieur en gage de réparation et de charité spirituelle.
« Adorer, réparer et souffrir, avec fidélité, constance et générosité », telle est la devise des Adoratrices. Leur mission n’a d’ailleurs jamais dérogé des valeurs de sa fondatrice, malgré les conciles et réformes de l’Église catholique : coopérer à la rédemption du monde en centrant leur vie au service exclusif de Dieu par la prière, l’adoration du Saint Sacrement, la lecture méditée de la Sainte Écriture et les joyeuses (!) pénitences réparatrices. Ces dernières devaient permettre aux religieuses de se rapprocher de Dieu par la souffrance corporelle en s’infligeant des douleurs à l’aide d’instruments
de pénitence. « Nos bijoux », dira simplement Sr Proulx.
Ces pratiques de mortification ont pris fin dans les années 1970.
Visite guidée
Le monastère et la chapelle du Précieux-Sang appellent au silence, au recueillement et à la prière.
On se surprend d’ailleurs à y parler à voix basse, même si nos échanges ne dérangeaient guère. Le chœur des religieuses, cet espace derrière l’imposant grillage séparant la chapelle du lieu isolé où elles se réunissent cinq fois le jour pour le chant de l’office divin, est bien silencieux. Les cellules, ces minuscules et dépouillées chambrettes réservées aux religieuses, sont pour la plupart toutes désertes.
Tout comme le réfectoire, l’infirmerie, la lingerie, la roberie, le parloir et les
espaces communs où quelques meubles, des classeurs et des boîtes de livres et de cassettes VHS attendent le passage
des déménageurs. Au détour d’un couloir et sur les murs légèrement défraîchis, quelques statues et des tableaux sacrés. Le silence est partout, tout comme les références bibliques en lien avec le précieux sang du Christ.
C’est pourtant une religieuse enjouée, dans ou malgré les circonstances, qui nous accueille à l’entrée principale.
Vêtue de son uniforme distinctif, à savoir la robe blanche, le scapulaire rouge et le voile noir, Sr Proulx est l’une des cinq
dernières locataires du monastère construit en 1866, en annexe de la maison blanche qui date d’avant 1826.
Dès que le tombeau où repose depuis 1983 la vénérable fondatrice de la congrégation aura été relogé, ses consœurs et elle iront rejoindre les 26 autres Adoratrices qui les attendent dans le centre d’hébergement moderne situé tout au bout de la cour arrière, baptisé Les Jardins d’Aurélie. À cet endroit où vivent déjà une centaine de religieuses des Sœurs de Saint-Joseph, elles ont tenté de recréer la vie au monastère en réclamant quelques aménagements particuliers, dont un cloître avec un oratoire réservé.
Elles ont aussi un accès direct au magnifique jardin, où Sr Proulx a pendant longtemps pratiqué le vélo et le ski de fond, au monastère et à la chapelle.
Trente-et-une
C’est le nombre d’Adoratrices du Précieux-Sang que l’on retrouve actuellement à Saint-Hyacinthe, âgées de 68 à
98 ans. Voilà tout ce qui reste de la branche francophone de cette communauté qui, pendant son âge d’or, a
compté pas moins de 42 couvents, en prenant en considération ceux de langue française et anglaise.
Dans ce dernier camp, il s’en trouve encore quatre au Canada anglais, quatre aux États-Unis et deux au Japon où de rares postulantes se manifestent encore aujourd’hui.
Du côté francophone, au Québec du moins, la relève n’est plus là, constate la supérieure avec réalisme. Dans ce contexte, la congrégation n’a donc eu d’autre choix que de se rendre à l’évidence et d’entrevoir la fermeture de son immense monastère.
C’est dans cet esprit que les Adoratrices ont accepté de céder en 2012, pour la somme de 500 000 $, leurs propriétés
de la rue Girouard à la Ville de Saint-Hyacinthe.
Cette dernière compte en faire la pierre angulaire de son pôle culturel en devenir qui suppose la reconversion de la chapelle en salle d’expositions et de concerts et la transformation du monastère afin d’abriter le centre d’histoire et d’archives.
Selon les plans initiaux, les sœurs devaient quitter le monastère au 31 décembre 2018. Il semblerait toutefois que ce sera fait au cours de l’été si tout se déroule comme prévu. C’est qu’il faudra d’abord déménager le tombeau où repose depuis 1983 la fondatrice décédée le 6 juillet 1905, une opération qui a débuté au cours des derniers jours.
« On se prépare à tous ces bouleversements, à tous ces deuils, depuis cinq ans, philosophe Sr Proulx, en ravalant ses
émotions. Nous avons pu cheminer et ce n’est pas comme si nous avions tellement le choix. Nous n’avons plus de relève ici, même s’il y en a encore un peu ailleurs. La congrégation ne meurt pas pour autant avec la fermeture du monastère, mais il faut faire le deuil de notre vie passée au monastère et nous départir de nos charges. Nous n’avons plus les forces d’antan. »
Deux vénérables sous un même toit
Les restes de la fondatrice qui a été élevée au rang de vénérable par le pape François en 2016 iront bientôt rejoindre ceux d’une autre vénérable religieuse à l’intérieur du columbarium du cimetière Cathédrale, à l’autre extrémité de la rue Girouard.
Sr Élisabeth Bergeron, fondatrice des Sœurs de Saint-Joseph de Saint-Hyacinthe, s’y trouve déjà depuis 2014. « Nous pensions que le tombeau aurait pu rester au monastère même avec sa nouvelle vocation civile, mais ce n’est légalement pas possible. Nous avons dû ajuster nos cœurs à cette situation », poursuit celle qui est entrée en religion chez les Adoratrices en 1959 et qui a passé 30 ans de sa vie au couvent de Nicolet avant de s’installer au monastère maskoutain en 1993.
La cohabitation des deux vénérables fondatrices, en attente d’une possible béatification, a un caractère aussi inusité qu’exceptionnel, même si c’est avec un pincement au cœur que les religieuses accepteront de s’éloigner de leur fondatrice, une sorte de pénitence imposée. D’ici là, les religieuses s’affairent à un autre moment qui sera chargé d’émotion, soit la fermeture de leur magnifique chapelle.
Présidée par Mgr Christian Rodembourg, une toute dernière eucharistie y sera célébrée le 22 juillet à 10 h. Ce sera sans doute le point d’orgue d’un été de grands bouleversements pour les Adoratrices du Précieux-Sang. Cet office dominical
est bien entendu ouvert à tous les précieux collaborateurs de la congrégation.