Tous les médias qui ont parlé de ce drame ont décrit Denis Chassé comme une innocente victime sans histoire. Ce n’est pas tout à fait vrai. Une histoire, il en avait une, et l’une de ses sœurs, l’artiste-peintre Doris Chassé, a accepté de la raconter au COURRIER afin de rendre hommage à l’homme bon qu’il était et dans l’espoir de tourner la page.
« Nous vivons tous très difficilement la mort de Denis. Pas une journée ne passe sans que je pense à lui. Le temps va faire son œuvre, j’imagine, mais pour l’instant, il est encore bien présent », témoigne-t-elle en regardant la photo de son frère qui trône sur la petite table du salon près d’un porte-clés en forme de tricycle. Le fameux tricycle qui faisait la fierté de Denis, lui qui avait l’habitude de le remiser tout l’hiver dans le cabanon de sa sœur Doris.
Mais pas cette année.
Un homme simple et bon
L’histoire de Denis Chassé n’a rien de spectaculaire ou d’inédite. C’est avant tout l’histoire d’un homme qui ne l’a pas eu facile dans la vie.
Sixième d’une famille de huit enfants, il a vu le jour un 24 juin dans une maison du rang Bas de la Rivière à Saint-Pie. C’est tout près de là que sa vie basculera à l’âge d’à peine cinq ans quand il se fera renverser par un chauffard.
Il en sortira vivant, mais amoché. Après sept semaines dans le coma, le jeune Denis devra réapprendre à parler et à marcher, puis à composer avec des séquelles permanentes toute sa vie durant. Légers problèmes cognitifs, tremblements et démarche hésitante feront partie de son lot quotidien. Tant et si bien qu’il habitera avec ses parents jusqu’au décès de ceux-ci, avant de s’installer seul dans un appartement situé non loin de celui de sa sœur Doris dans le quartier La Providence. « Denis s’est toujours débrouillé dans la vie, dit-elle en dépeignant le portrait de son frère avec moult détails et anecdotes. Il était autonome, intelligent et très axé sur l’humain. Il aimait rendre service et il était très attentif aux autres. À ses funérailles, les témoignages que nous avons reçus nous ont bouleversés. Il a touché bien des gens. »
Denis Chassé a occupé quelques petits boulots dans des grands magasins et des dépanneurs, mais il s’est surtout fait aimer du voisinage par les services qu’il rendait aux autres en tondant des pelouses l’été ou en déneigeant des entrées en hiver.
« Mon frère faisait une différence dans la vie de plusieurs personnes seules ou malades. Il était une présence réconfortante et remplie de compassion, lui qui connaissait la souffrance de la différence et de la solitude. Il aurait tellement aimé avoir sa propre petite famille et des enfants. C’est son plus grand regret, je pense. »
Denis Chassé aimait écouter de la musique lire des biographies, collectionner les porte-clés et, par-dessus tout, se promener à vélo. « Son tricycle représentait la liberté pour lui. Il avait ses petites habitudes, ses circuits et des connaissances un peu partout. Il faisait sa petite tournée tous les jours, distribuait des livres et des bonbons. Il faisait lui-même son petit bonheur et en semait encore davantage. »
Jusqu’au fameux jour de juillet où il a eu le malheur de croiser Steve Gaudette à l’intérieur du tunnel piétonnier de la rue Laframboise. La suite a fait les manchettes des bulletins de nouvelles pendant quelques jours et Doris Chassé ne souhaite pas y revenir, sinon pour dire que la famille ne sait pas grand-chose des événements.
« Mais personne ne mérite de mourir ainsi. On doit éviter d’autres morts. Il ne faut plus que cela arrive. Jamais plus », dira-t-elle.
Pour tourner la page
C’est pour s’en assurer qu’elle suit assidument les procédures judiciaires en cours, en compagnie de quelques membres de sa famille. Elle sera à nouveau au palais de justice le 20 février, date de la prochaine comparution de l’accusé qui fait face à une accusation de meurtre au deuxième degré.
Mme Chassé n’attend rien de précis, sinon que justice soit rendue.
À l’égard de Gaudette ou de ses proches, elle n’éprouve pas de sentiments particuliers. « La colère extrême des premiers jours s’est estompée. Je n’ai plus de haine en moi. Je n’ai pas d’énergie à gaspiller à les détester. J’ai besoin de toutes mes forces pour guérir ma souffrance d’avoir perdu mon frère et de ne pas avoir eu la chance de lui tenir la main et de l’accompagner jusqu’à la fin. On nous l’a enlevé… »
Et au sujet des améliorations promises par la Ville de Saint-Hyacinthe afin d’améliorer la sécurité dans ses tunnels piétonniers, Doris Chassé préfère réserver ses commentaires. « Je ne me viderai pas le cœur, pas maintenant. On me dit qu’il va se passer quelque chose, mais je n’en sais pas plus. Je n’ai pas remis les pieds là depuis la mort de mon frère. Quand j’y retournerai, ce sera pour tourner la page une fois pour toutes. Cette entrevue aussi, c’est pour tourner la page, une étape nécessaire dans un long processus. J’avais seulement envie qu’on se souvienne de mon frère pour les bonnes raisons. Pas pour les circonstances de son décès, mais pour tout ce qu’il a fait de bon, avec les moyens qu’il avait. »
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