Impossible de rester insensible. Deux innocentes victimes croisées au hasard ont perdu la vie en ayant eu le malheur de s’être trouvées à la mauvaise place au mauvais moment. Cinq autres personnes ont été blessées et marquées à jamais.
« Hallucinant, terrifiant, cela dépasse l’entendement. » Le maire de Québec, Régis Labeaume, qui en a malheureusement vu d’autres, a bien décrit nos sentiments à tous. Ébranlé, il a insisté sur le caractère isolé de l’attaque devant la presse, avant d’ajouter « qu’il est difficile de prévoir les conséquences de la folie découlant visiblement de problèmes de santé mentale. » Le maire Labeaume a été le premier à plaider pour un débat de société à faire sur la santé mentale, affirmant que les maladies psychologiques étaient la plus grave menace à la sécurité des villes.
Il n’a pas tort, bien qu’il ne faut pas faire d’amalgames en associant problème de santé mentale, violence et meurtre.
La vice-première ministre, Geneviève Guilbault, a renchéri en disant que « c’est un enjeu majeur qui a été trop longtemps et trop souvent oublié. […] C’est un enjeu dont on est tout à fait conscient et sur lequel on travaille. C’est un problème des grandes villes. Il faut faire la réflexion tous ensemble ».
Elle n’a pas tout à fait raison.
Oui à la réflexion collective, mais les problèmes de santé mentale qui menacent la sécurité publique ne sont pas seulement un problème des grandes villes. Vraiment pas. Entre six et huit appels sur dix concernent des problèmes liés à des troubles de santé mentale, calcule la Fédération des policiers et policières municipaux du Québec (FPMQ), qui représente plus d’une trentaine de fraternités regroupant quelque 5000 policiers et policières municipaux.
Pas plus tard qu’à l’été 2019, la FPMQ dénonçait aussi le syndrome des portes tournantes en santé mentale. Ce phénomène pousse les policiers à intervenir continuellement auprès des mêmes personnes en situation de détresse, faute de suivi ou de prise en charge médicaux dans les délais requis.
Saint-Hyacinthe n’est pas une grande ville par rapport à Montréal ou Québec, mais elle a aussi connu son acte isolé d’horreur et de délire meurtrier.
Le 3 juillet 2018. Ce jour-là, le Maskoutain Denis Chassé, qui traversait le tunnel piétonnier Laframboise, a eu le grand malheur de se trouver sur le chemin de Steve Gaudette. Ce dernier n’était pas déguisé et ne portait pas de sabre, mais un couteau dont il s’est servi pour asséner plusieurs coups mortels à sa victime qui aurait pu être vous ou moi.
On apprendra au cours des procédures judiciaires que Gaudette était une bombe à retardement en liberté. Ses problèmes de santé mentale, de consommation de drogues et d’épisodes de violence ont été documentés et mis en lumière. Tant et si bien que la décision de le reconnaître non criminellement responsable du meurtre de Denis Chassé n’a pas suscité de réaction particulière dans le milieu.
Encore moins chez ses proches pour qui cela s’avérait une évidence, me dit-on.
La question est maintenant de savoir si Gaudette doit être déclaré accusé à haut risque et assujetti à des conditions de remise en liberté plus contraignantes.
Nous aurions dû être fixés là-dessus mardi, mais la juge Johanne St-Gelais a décidé de reporter sa décision d’une semaine. Le contexte du drame de Québec ajoute bien entendu beaucoup d’émotivité à tout cela pour les familles du tueur et de la victime.
Voilà une décision que je n’aimerais pas prendre en ce moment, même si la loi prévoit que l’étiquette d’accusé à haut risque n’est pas permanente. Elle doit être révisée chaque année. Je ne peux pas dire si Gaudette représente actuellement un haut risque pour lui-même et les autres, et je ne le souhaite pas, mais le 3 juillet, c’était bel et bien le cas. Le système de santé n’a pas fonctionné et n’a pas été en mesure d’aider Steve Gaudette ni de protéger Denis Chassé. Cela ne peut pas nuire, mais les 100 M$ d’argent frais en santé mentale annoncé par Québec dans la foulée de la tuerie de Québec ne règleront pas tout.
Le risque zéro n’existe pas. Nous ne serons jamais à l’abri des bombes à retardement. J’ai la désagréable impression d’en croiser bien trop souvent.