Ce sont là les mots de mon père, repris il y a 16 ans par la journaliste Véronique Lemonde alors qu’elle signait, dans ce journal, un magnifique portrait de ma famille, récemment arrivée à Saint-Hyacinthe. Dans cet article, nous découvrions deux parents courageux, soucieux de l’avenir de leurs enfants, prêts à tout abandonner dans l’espoir de fuir l’instabilité économique et l’insécurité d’un Mexico lindo y querido.
« Ils n’y connaissaient personne et ne savaient pas du tout dans quoi ils s’embarquaient! » Tous les jours, notre gouvernement souligne l’importance des entrepreneurs, leur bravoure, et met de l’avant leur capacité à prendre des risques financiers. Mes parents aussi sont des entrepreneurs. Ils ont fait le pari le plus risqué du monde : ils ont risqué leur vie, un pari qu’un jeune entrepreneur fraîchement sorti du HEC n’aura jamais à faire.
Peut-on prendre le temps, entre deux déformes de l’immigration, d’apprécier et de reconnaître le courage nécessaire que ça prend, à 39 ans, pour abandonner sa famille, ses amis, sa langue, sa culture, sa vie au grand complet. Imaginez le courage que ça prend pour risquer sa vie, merde! En seriez-vous capable? Mon père, lui, l’a fait trois fois!
Ainsi, mes parents débarquent en sol maskoutain en 2004, ils ne connaissent personne, sont sans emploi et ont deux bouches à nourrir. Il va sans dire qu’ils ne gagnaient pas un salaire de 56 000 $, loin de là.
Ni les diplômes de mes parents ni leurs expériences de travail ne sont reconnus par les employeurs, ce qui les force à se tourner temporairement vers les shops pour gagner leur vie. Encore une fois, on est loin du salaire de 56 000 $. Mes parents, à en croire les propos de notre premier ministre, sont, à l’époque, un problème pour lui.
Cette année, mon père décide de retourner aux études, il quitte son poste de technicien dentaire qu’il aura occupé pendant 16 ans. Ma mère, elle, se retrouvera au chômage à l’automne. Le laboratoire pour lequel elle travaille depuis 10 ans doit fermer ses portes, pandémie oblige. Durant la prochaine année, ils ne feront pas un salaire de 56 000 $.
« Mais maintenant, ce sont nos enfants qui importent et le Québec sera notre destination finale. »
Quant à moi, j’ai maintenant 21 ans, je suis Québécoise, Algérienne et Mexicaine. Hier, j’ai mangé de la poutine, aujourd’hui, des quesadillas et, demain, ce sera du couscous! J’ai une maîtrise parfaite de l’anglais, de l’espagnol et je crois être follement amoureuse de Molière et de sa langue.
Peu importe où je vais, j’apprécie la ville. J’ai eu un coup de foudre pour Saint-Hyacinthe. Je veux être ici de manière définitive, élever mes enfants et avoir une maison. J’espère aussi visiter un jour tous ces endroits magnifiques du Québec que j’ai pu contempler sur des images de calendrier. Ce sont les paroles de mon père, prononcées il y a 16 ans, que je m’approprie aujourd’hui.
Je viens de terminer ma première année de journalisme à l’UQAM. J’espère en faire une carrière. Vais-je faire un salaire de 56 000 $? Je le souhaite. Les médias traversent une crise sans précédent et je n’ai pas le luxe de me projeter dans l’avenir. Pourtant, je n’ai pas peur, vous voyez, j’ai hérité du courage et de la résilience de mes parents.
À noter que si je me connais mieux, je ne me connais toujours pas. Je suis jeune, idéaliste. Je veux changer le monde; je veux qu’il me change. Je rêve du jour où je saurai qui je suis. En attendant, je peux vous dire ce que je ne suis pas. Je ne suis ni un chiffre ni un accommodement raisonnable. Je ne suis pas une menace à l’identité québécoise et surtout, Monsieur le Premier Ministre, je ne suis pas votre problème!
Madame Chantal Soucy, députée de Saint-Hyacinthe-Bagot, je m’adresse ici à vous. Je n’ai qu’une requête à vous faire. Assurez-vous que le premier ministre lise cette lettre avec l’attention et le souci qu’il prête à Pierre-Yves McSween. Il doit être capable de mettre un visage sur le mot « immigration ».
Samira Ait Kaci Ali, Saint-Hyacinthe