En 2000, à Sydney, elle était devenue la première femme maskoutaine à participer aux Jeux olympiques. Une fierté immense l’habite en pensant à ce rêve qu’elle a réalisé, celui que peu d’athlètes réussissent à atteindre. « Maintenant, quand je pense aux Jeux olympiques, je me sens choyée et remplie de gratitude [d’y avoir participé] », indique-t- elle au bout du fil.
Mais il y a aussi un « mais ». Sur la plus grande scène au monde, Luce Baillargeon a terminé au 9e rang dans la catégorie des 52 kg, tout près du top 8 qu’elle visait. Même si près de 21 années se sont écoulées depuis, ce résultat la hante toujours. La raison : une erreur d’arbitrage lui a fait perdre son troisième combat de la compétition, celui qui lui aurait permis de poursuivre sa route vers une médaille de bronze.
Après avoir perdu son premier combat face à la favorite du tournoi, la Japonaise Noriko Narazaki, Luce Baillargeon avait enchaîné avec une victoire contre la Coréenne Jae-Sim Jang en passant par le repêchage. Elle a toutefois dû plier bagage à son combat suivant face à l’Algérienne Salima Souakri, même si, en théorie, elle a réussi un ippon sur son adversaire.
« J’ai commencé une technique à l’intérieur des lignes et elle s’est terminée à l’extérieur. Quand on commence à l’intérieur, ça devrait être un ippon, mais l’arbitre sur le côté a indiqué que la technique avait commencé à l’extérieur des lignes… », raconte la Maskoutaine de 44 ans, en décrivant la scène comme si elle s’était produite hier.
Aujourd’hui, une telle décision pourrait être revue grâce aux reprises vidéos et serait changée. Mais à l’époque, c’était différent.
« Quand on perd en faisant une erreur, on l’accepte et on passe à autre chose. Je n’ai jamais remis en question ma défaite contre la Japonaise, mais celle contre l’Algérienne… J’ai perdu quand la décision de l’arbitre n’était pas la bonne. Vous ne pouvez pas vous imaginer les sentiments qui se dégagent d’une telle injustice, surtout aux Jeux olympiques. On s’entraîne toute notre vie pour ce moment-là, puis quand ça arrive… Ça m’a pris des années pour m’en remettre. Encore à ce jour, 21 ans plus tard, quand les Jeux olympiques battent leur plein, pour moi, ça ouvre une cicatrice. […] Cette journée-là, c’était la mienne. J’étais en bonne forme physique. Je savais que je pouvais aller chercher la médaille de bronze. Je me sentais habitée par la forme et la puissance. Ce qui est dommage, c’est que le résultat ne reflète pas les efforts qui ont été déployés pour me rendre là. »
La quête d’une vie, un rêve inachevé
Dès son plus jeune âge, Luce Baillargeon rêvait des Jeux olympiques. Elle se souvient encore de dessins qu’elle avait faits d’elle sur un podium, avec les anneaux olympiques qui sont aujourd’hui tatoués sur son corps.
À l’âge de 8 ans, elle faisait ses premiers pas sur les tatamis, dans le sous-sol de l’école primaire de Saint-Thomas-d’Aquin. Rapidement, elle a eu la piqûre et le judo est devenu son sport. Peu de temps après, elle s’est jointe au Club de judo de Saint-Hyacinthe, puis elle s’est mise à grimper les échelons à grande vitesse, traçant un chemin qui n’avait encore jamais été emprunté.
En 1994, elle remportait la médaille d’argent du Championnat du monde junior. « À ce moment-là, aucune femme n’avait fait un aussi bon résultat au Championnat du monde junior dans l’histoire du judo canadien, se rappelle-t-elle. Je savais à ce moment que les Jeux olympiques n’étaient pas si loin pour moi. »
Très jeune, elle a été remarquée par l’équipe nationale de judo, si bien qu’à l’âge d’à peine 16 ans, elle s’installait à Montréal pour s’entraîner au centre national. En 1997, elle enregistrait une 5e place au Championnat du monde senior, un résultat qui la rapprochait encore un peu plus des Jeux olympiques.
Après avoir participé à ceux de Sydney, Luce Baillargeon avait dans la mire de répéter l’exploit quatre ans plus tard à Athènes. Les choses ne se sont toutefois pas déroulées comme prévu. Après avoir changé de catégorie à mi-parcours du cycle olympique, pour revenir chez les 52 kg, la judoka avait pourtant réussi à retrouver sa place de numéro un au Canada dans sa catégorie. Les critères (trop?) exigeants du Comité olympique canadien l’ont toutefois empêchée de vivre les Jeux olympiques une seconde fois, même si elle avait réussi chaque étape nécessaire pour qu’une judoka puisse y accéder. Il lui fallait avoir remporté une médaille dans une compétition européenne et faire partie du top 4 panaméricain, ce qu’elle avait accompli. « Mais le Canada t’envoyait juste si tu étais dans le top 3 panaméricain et j’étais 4e », laisse tomber l’ancienne athlète, encore marquée par cette décision qu’elle aurait dû, avec le recul, contester.
Une sortie en silence
L’année suivante, en 2005, elle quittait son sport en silence. « Personne ne le savait [que j’arrêtais]. J’ai arrêté parce que j’étais épuisée mentalement. Je n’avais plus de jus, je n’avais plus de fun », affirme-t-elle.
La transition entre sa vie d’athlète et sa vie « normale » a été difficile, voire douloureuse. « J’avais l’impression de n’être plus rien, que ce que j’avais appris pendant 20 ans ne me servait à rien. Mais tranquillement, j’ai pu saisir à quel point j’étais riche d’expériences de vie et de qualités exceptionnelles », souligne celle qui travaille aujourd’hui comme policière au Service de police de Montréal et qui réside sur la Rive-Nord.
Mère de deux jeunes garçons, de 4 et 11 ans, Luce Baillargeon est aujourd’hui sereine avec son passé d’athlète et réussit à mieux apprécier le parcours qu’elle a traversé.
« Je suis remplie de fierté quand les Jeux olympiques ont lieu. Je suis capable de dire à mes enfants que j’étais là, mais je ne suis pas capable de leur montrer des vidéos de moi aux Olympiques. Ce n’est pas arrivé encore. Peut-être un jour… »
Tout juste avant la pandémie, elle a repris contact avec le judo pour la première fois depuis sa retraite sportive alors que son fils aîné a essayé le sport. « Il était bon le petit maudit, lance-t-elle en riant. Je ne crois pas qu’il va poursuivre dans cette voie-là, mais le plus jeune, je le verrais là-dedans. »
Outre des expériences mémorables, le judo a également apporté des amitiés précieuses à Luce Baillargeon. « Qui aurait cru que mes enfants et ceux de Nicolas Gill et Marie-Hélène Chisholm – deux ex-judokas – joueraient ensemble 20 ans plus tard? Ces gens-là, ce sont les personnes qui me comprennent le mieux parce qu’on a vécu la même chose. »
« Aujourd’hui, quand je pense à ma vie d’athlète et à tout ce que j’ai accompli, je suis remplie de gratitude. Je pense à mes premiers entraîneurs, Sylvie et Louis du Club de judo de Saint-Hyacinthe, qui m’ont transmis la passion du sport, et à tous les autres bons entraîneurs qui m’ont supportée et encouragée, à mes partenaires d’entraînement et à ceux qui m’ont soutenu financièrement, dont René Corbet [ex-joueur de hockey maskoutain ayant évolué dans la LNH] qui m’avait commanditée. Rien de toute cette histoire ne serait arrivé sans le soutien, la confiance et l’aide de mes parents. Les sacrifices, ce sont eux qui les ont faits. Pas moi! Je ne pourrai jamais les remercier assez pour ce qu’ils m’ont permis de vivre. Quand tes parents croient en toi, même en tes rêves les plus fous, c’est excessivement précieux », conclut-elle.