C’est reparti pour un tour du manège qui dure depuis 1968, année où fut interdite, dès sa parution, la bombe littéraire à fragmentation multiple de Pierre Vallières : Nègres blancs d’Amérique. Aurions-nous autant parlé de Autobiographie précoce d’un révolutionnaire québécois dont c’est le sous-titre?
Personne n’aurait déchiré sa chemise, reçu de blâme ou perdu son emploi. Et personne ne se souviendrait de Vallières. Mais, le lit-on davantage aujourd’hui? Parce que si le quart du tiers de la moitié de ceux qui citent ou critiquent son livre notoire prenaient la peine de le lire… ohla on aurait un autre débat!
D’abord, beaucoup de ceux qui le défendent le détesteraient et beaucoup de ceux qui le détestent le défendraient. Ceux qui se servent de lui pour crier le mot en N n’importe comment en ajoutant « j’ai l’doua » seraient catastrophés de découvrir que Vallières était le woke originel, l’ancêtre des « éveillés » qui passa la moitié de sa vie en prison pour s’être battu contre toutes les injustices et toutes les oppressions. Ceux qui critiquent le titre volontairement provocateur du livre seraient ravis d’y découvrir un Vallières écrivant : « Le risque est grand au Québec de voir le nationalisme des francophones “pure laine” se pervertir en une forme dégénérative xénophobe ou raciste, du sentiment populaire. »
Et je suis de ceux qui croient que Vallières n’aurait pas hésité une seconde à changer son titre, car comme il écrivait dans ce même livre : « Vivre, c’est assumer une histoire collective qui se fait, et qui en même temps est toujours à faire, qui se fait, se refait sans cesse, au gré de nos luttes, de nos passions, de nos espérances. »
On ne peut faire parler un mort, mais on peut certainement l’entendre grincer des dents de constater qu’un seul mot puisse autant cacher une forêt d’idées.