Louise Henry met tout de suite quelque chose au clair : sa sortie n’est pas pour mettre fin aux peines de prison ni pour dire qu’elle ne méritait pas d’être emprisonnée pour ses crimes. « Je ne suis pas contre la prison. Quand tu commets un crime, comme ce que j’ai fait, il faut une conséquence, c’est normal. Mais là où je trace la limite, c’est quand on ne respecte pas nos droits. » Son livre parle très peu de ce qui l’a amenée à être en prison pour se concentrer sur les conditions d’incarcération.
Au fil du livre, on peut constater que le dédain initial qu’avait Mme Henry envers ses codétenues, elle qui ne se sentait pas du tout à sa place, a vite laissé place à de la compassion. « Oui, je levais le nez sur elles au début, mais j’ai vite compris qu’on était toutes pareilles, qu’on était toutes dans le même bateau. » Elle a aussi rapidement été confrontée à la dure réalité de la prison Leclerc à Laval, un ancien pénitencier à sécurité maximale pour les hommes qui a été fermé par le fédéral à cause de sa vétusté… pour finalement être rouvert par le gouvernement du Québec pour y loger des femmes à la place. « La prison, c’est être coupé de sa liberté. Personne ne s’attend à vivre dans un Holiday Inn, mais on n’est pas dans un lieu sécuritaire où on a accès à de l’eau potable ou à des soins de base; on est dans un endroit où l’air est vicié, où on nous écrase émotionnellement et où on nous traite comme des déchets. […] Je voyais tous les jours des atrocités et on vivait dans une atmosphère lourde, chargée d’agressivité. On ne peut pas vivre des mois dans un tel endroit sans devenir folle. »
Les exemples d’atteintes à la dignité humaine sont nombreux et souvent très graphiques dans le livre. Les abus verbaux des agents correctionnels, les nombreuses fouilles à nu abusives – Louise Henry estime en avoir subi une centaine en 11 mois à l’établissement Leclerc –, la difficulté d’obtenir des soins de base menant jusqu’à certains cas à des hospitalisations, voire à une amputation de l’avant-bras d’une codétenue, la force abusive utilisée pour maîtriser une femme en crise, le manque d’hygiène, particulièrement pendant les menstruations, etc. C’est sans compter la mauvaise condition des cellules où la neige s’infiltre l’hiver et que les pigeons envahissent dès que les occupantes les quittent un peu trop longtemps. « Une fille a été envoyée au “trou” pendant quatre jours et, à son retour, la cellule était pleine de pigeons. Elle n’a même pas pu aller chercher ses choses et la cellule est depuis condamnée; personne ne va la nettoyer non plus », note-t-elle.
La mort de Madame M
Ces conditions de détention ont mené dans plusieurs cas à des suicides, dont un qui hante toujours Mme Henry, celui de Michele Messina, alias Madame M. « C’est moi qui ai lâché la main de Michele en demandant aux agents de faire attention à elle et de ne pas la laisser seule [alors qu’elle avait déjà fait une tentative de suicide quelques jours plus tôt]… Ils m’ont dit de la fermer et qu’ils connaissaient leur travail. Deux jours plus tard, elle s’était pendue seule dans sa cellule. […] Je me suis sentie tellement coupable et je ne suis toujours pas capable de faire face à ses enfants. Je m’en veux parce que j’aurais pu faire plus », soutient-elle. Malgré toutes les horreurs qu’elle dit avoir vécues ou dont elle aurait été témoin pendant son temps en prison, cet épisode reste pour elle son pire souvenir.
Selon l’auteure, toutes les morts survenues à la prison Leclerc ces dernières années sont directement causées par des manquements flagrants de la part du personnel. Son envie d’écrire sur la réalité crue que vivent les détenues à cet endroit a germé dès les premières semaines de son incarcération, motivée par une bénévole, Sœur Marguerite Rivard. « Elle a affirmé au lancement du livre que, dès la première fois qu’elle m’a vue, elle a appelé la Coalition d’action et de surveillance sur l’incarcération des femmes au Québec (CASIFQ) pour dire qu’elle avait enfin trouvé la fille qu’il leur fallait [pour sortir sur la place publique et dénoncer les conditions]. »
Mme Henry reconnaît qu’il fallait quelqu’un avec « du front tout le tour de la tête » pour écrire sur ce sujet, d’autant plus qu’elle a commencé son processus très tôt, alors qu’elle s’y trouvait toujours.En sortant de prison l’an dernier, son projet était donc de terminer son livre. La dernière mort survenue à la prison Leclerc, le 1er mai 2021, soit le jour même de son anniversaire, lui a donné la motivation supplémentaire pour accélérer la machine. « C’était le signe pour moi que je devais me dépêcher pour le publier pour qu’il n’y ait plus d’autres morts. »
Se reconstruire
Aujourd’hui, Louise Henry a la tête haute, mais son séjour à la prison Leclerc aurait pu bien mal se terminer, assure-t-elle. « Le Leclerc m’a complètement démolie. C’est aller au pénitencier de Joliette qui m’a aidée. Je voulais tellement quitter cet endroit que j’étais prête à avoir une peine de plus de deux ans juste pour en sortir. Et si je n’étais pas sortie, j’aurais été la prochaine [à m’enlever la vie]. Ce qui est écrit dans le livre est épouvantable, mais le vivre, c’est encore pire », soutient-elle. Elle a donc pu « grandir » au pénitencier, l’amenant à travailler sur elle-même et à prendre ses responsabilités.
« En six mois au fédéral, incluant un épisode de COVID qui m’a mise sur le cul, je suis revenue sur mes pieds. La cerise sur le sundae a été la maison de transition. Les gens font un travail extraordinaire et il y a de bons programmes pour se préparer à retourner en société. »
Elle avoue avec du recul que ce qu’il lui est arrivé a complètement changé sa vie, pour le mieux. « Je ne pense plus pareil et j’apprécie les petites choses de la vie de tous les jours. Et je sais maintenant à quel point la vie est fragile. Je ne me suis jamais aussi bien sentie que maintenant, même si, monétairement, je fais dur! Mais je réussis à payer mon logement et à manger un peu. J’arrive même à me payer des cigarettes et du Pepsi! »
La Madelinoise consacre depuis sa sortie toutes ses énergies à la cause des femmes incarcérées au Québec. Elle est toujours en contact avec Sr Marguerite, qui la tient à jour chaque semaine sur le quotidien à la prison Leclerc. Elle s’implique à la CASIFQ et se fait entendre sur toutes les tribunes possibles pour que les choses changent. « À l’époque, chaque fois que les médias écrivaient sur moi, ça me rentrait dedans. Maintenant, je vois ça positivement, ça fera peut-être plus de gens qui se rappelleront de moi et ça va faire circuler mon message encore plus. […] Dans ma vie, j’ai commis des actes criminels, j’ai été arrêtée, j’ai plaidé coupable et j’ai fait du temps. C’est réglé. Mais ça, dit-elle en touchant Délivrez-nous de la prison Leclerc!, ce n’est pas réglé. »
Elle insiste : elle n’a pas écrit son livre pour faire son mea culpa à ses victimes de fraude ni pour redorer son nom. « Ce qui compte, c’est ce que les femmes vivent là-dedans et je veux faire fermer la prison Leclerc au plus vite. »
La bataille semble loin d’être gagnée alors que le bail actuel doit durer encore quatre ans et que le gouvernement du Québec aurait signé pour 10 années supplémentaires. « Si cet endroit n’est pas assez bien pour les hommes, comment se fait-il qu’il le soit pour les femmes? »