Il est ahurissant que le conseil municipal ait entériné – et ce à grande majorité – cette augmentation salariale très significative dans le contexte actuel. Et ce qui est renversant, c’est que la recommandation qui a mené à la décision de revoir le salaire des cadres est venue non pas de la firme professionnelle Raymond Chabot Grant Thornton qui avait été sélectionnée pour établir un portrait comparatif de la rémunération dans différentes municipalités, mais bien… de la direction générale elle-même!
Être juge et partie dans la fixation de son salaire au municipal
Si l’on veut soi-même fixer son propre salaire, le monde de l’entrepreneuriat est tout indiqué. En revanche, lorsqu’on accepte de travailler dans l’appareil public, que ce soit au palier municipal, provincial ou fédéral, le droit de regard sur la fixation de ses propres conditions salariales est tout autre. Les différents paliers gouvernementaux confient les révisions salariales cycliques à des comités indépendants, des comités de sages ou à des firmes externes qui sont chargés de livrer des recommandations précises et un scénario à prioriser.
Les citoyens comprennent aisément pourquoi on retient cette façon de procéder : comment faire une recommandation impartiale, neutre et objective quand on a soi-même des intérêts pécuniaires en jeu et que l’argent des contribuables entre en ligne de compte? Il est stupéfiant de savoir que le conseil municipal n’a pas cru bon de demander à la firme Raymond Chabot Grant Thornton de formuler des recommandations précises et un scénario à retenir quant à la trajectoire à prioriser pour la rémunération des cadres et qu’il s’en soit remis aux bons offices de la direction générale, qui elle-même bénéficiera de la généreuse augmentation de salaire. C’est le b.a.-ba de l’éthique qui n’a pas été suivi.
Un contexte inflationniste et une dure réalité pour les payeurs de taxes
Comme Ville, Saint-Hyacinthe n’échappe pas au contexte inflationniste : les services offerts par la Ville coûtent plus cher au Trésor de la municipalité, le coût des travaux publics augmente et notre dette municipale aussi. Rappelons que le plafond de l’endettement a été rehaussé à 80 millions de dollars, puis à 92 millions de dollars par le présent conseil municipal, avec le taux d’intérêt élevé que l’on connaît.
En ajoutant le seul projet de la réfection de la promenade Gérard-Côté, se chiffrant à quelques dizaines de millions de dollars d’argent public, notre élastique budgétaire est déjà passablement étiré et le compte de taxes des contribuables ne peut faire autrement que s’en ressentir. Il peut être tout à fait légitime de hausser le salaire des cadres et c’est une discussion à avoir, mais pourquoi l’augmenter de manière si significative, sur une seule année, lorsqu’on observait déjà une pression à la hausse de la masse salariale de la Ville?
Qu’est-ce qui justifie une hausse de 16,25 % en 2024 pour les cadres municipaux, alors que le gouvernement provincial, dans le même contexte inflationniste, offre au secteur public 9 % d’augmentation sur 5 ans à des employés en première ligne en santé et en éducation? Pourquoi, alors que Saint-Hyacinthe, comme toutes les municipalités, est ultra-dépendante des revenus liés à la taxe foncière, faire le choix de chèques de paie plus généreux quand les mises en chantier sont très au ralenti et que le gouvernement Legault a fermé la porte à double tour en ce qui concerne les demandes financières des municipalités? Comment arrivera-t-on à maintenir les services offerts par la Ville à ses citoyens avec une masse salariale en si forte augmentation doublée d’un contexte inflationniste?
Les portes tournantes de l’Hôtel de Ville : attractivité et rétention du personnel
Le chèque de paie est une donne très importante lorsque vient le temps, comme employé, de sélectionner son employeur et d’y faire sa carrière. Cependant, est-ce la seule variable qui influence là où on choisit de s’épanouir professionnellement? Pour le maire Beauregard, il ne fait pas de doute que pour demeurer compétitive et attirer les talents chez les cadres, la Municipalité devait rehausser les salaires. Or, ce sur quoi le maire n’a pas élaboré, c’est le phénomène bien documenté, depuis quelques années, des portes tournantes chez les cadres à l’Hôtel de Ville. Il serait trop long d’énumérer les nombreux cadres qui ont fait « trois petits tours et puis s’en vont » dans les différents services, de l’urbanisme aux ressources humaines, pour ne nommer que ces deux services. Que ce soit pour des passages de quelques mois à une ou deux années, ces cadres ont choisi de ne pas continuer leur carrière à Saint- Hyacinthe. Il faut souligner que tous ces cadres avaient, au préalable, passé tout le processus d’embauche et avaient acquiescé à travailler au salaire affiché.
Dans le monde municipal, il est assez rare que des embauches toutes fraîches de direction/direction adjointe retournent leur veste en étant à peine entrées dans leurs nouvelles fonctions. Or, c’est une réalité à l’Hôtel de Ville et ce n’est pas étranger au fait que « 43 % des gestionnaires » soient nouvellement en poste. Autrement dit, pour attirer les candidatures, le salaire est une variable importante, mais pour fidéliser son personnel et doter la Ville d’une expertise et d’une mémoire institutionnelles durables, ça prend plus que des dollars.
Marijo Demers, cheffe de Saint-Hyacinthe unie