Si, aujourd’hui, on en connaît beaucoup sur Aurélie, c’est grâce à Henriette Dessaulles, qui en a fait le sujet de sa chronique « Lettre de Fadette » dans l’édition du 27 janvier 1925 du journal Le Devoir auquel elle collabore.
Aurélie Gaudreau est née à Saint-Simon-de-Bagot le 6 novembre 1837, du mariage de Charles Gaudreau et de Marie-Louise Langelier. Elle est l’avant-dernière d’une famille nombreuse de treize enfants. Lors du recensement de 1871, on constate qu’elle habite toujours avec sa mère, deux frères et une sœur dans la maison familiale.
Ses parents ne l’ont pas envoyée à l’école, car elle est considérée comme simple d’esprit. Malgré tout, l’institutrice de Saint-Simon, Rosalie Palardy, décide de lui enseigner à lire et à écrire en dehors des heures d’école. Aurélie lui en sera reconnaissante toute sa vie.
À la mort de sa mère, elle vient habiter à Saint-Hyacinthe. En 1911, on sait qu’elle loue une chambre chez un dénommé Joseph Plouffe. Le recenseur indique alors qu’elle est mendiante. Elle « quête » chez les gens les plus aisés de la ville. Elle visite ses bienfaiteurs selon un horaire dont elle ne déroge jamais. Par exemple, le lundi, elle visite le côté sud de la rue Girouard, le mardi, le côté nord, etc. Chaque jour, elle est attendue quelque part. Elle entre dans le vestibule de la maison et crie : « Il n’y a donc personne icitte? ». On vient alors l’accueillir et on lui remet de l’argent qu’elle s’empresse de déposer dans son petit sac en cuir.
Comme elle ne mendie que dans les quartiers riches, elle parvient rapidement à s’amasser une petite fortune, car elle dépense très peu. Ses protecteurs (majoritairement des prêtres et des religieuses) ont fort à faire pour empêcher qu’on abuse d’elle. Nombre d’hommes aimeraient bien l’épouser pour mettre la main sur son pécule, mais on parvient toujours à empêcher Aurélie de tomber dans leurs griffes. Selon Henriette Dessaulles, elle aime tout le monde et elle est incapable de concevoir qu’une personne puisse être animée de mauvais sentiments.
Elle passe ses grandes journées à déambuler au centre-ville, ce qui l’amène à rencontrer de nombreuses personnes pas toujours bien intentionnées. C’est ainsi qu’au cours de la Première Guerre mondiale, un mauvais farceur parvient à la persuader qu’elle avait deux fils qui avaient été envoyés au front. Bien qu’elle ne se rappelle plus s’être mariée et avoir eu des enfants, elle croit fermement à cette histoire jusqu’à la fin de la Guerre.
Très pieuse, elle se vêt chaque dimanche de ses plus beaux atours et elle va assister à la grand-messe à l’église Notre-Dame-du-Rosaire. Elle loue un banc dans les premières rangées et elle est souvent la première arrivée. On dit qu’elle était toujours heureuse. Elle aimait bien rire et avait même inventé un mot d’esprit qu’elle répétait inlassablement : « Qu’est-ce qui est blanc et noir, qui ne parle pas, mais qui fait bien parler? La gazette! »
En 1925, elle dut cesser de mendier à cause d’un nouveau règlement municipal. Elle s’installe alors à l’ouvroir Sainte-Geneviève, situé sur la rue Saint-Antoine, institution gérée par les Sœurs de la Charité, qui accueille les dames âgées. Elle meurt trois ans plus tard, le 28 octobre 1928, une semaine avant ses 91 ans.
Par Martin Ostiguy, membre du Centre d’histoire de Saint-Hyacinthe