Cela a permis à Saint-Hyacinthe Technopole de construire au cœur du parc technologique un siège social de 30 M$ au bénéfice de CDMV, une filiale à part entière d’Investissement Québec, le bras financier de l’État québécois.
Pourtant, ce parc devait, dès sa création, il y a plus de 20 ans, accueillir exclusivement des entreprises de hautes technologies œuvrant dans les domaines de la biotechnologie agroalimentaire, vétérinaire et agroenvironnementale. Un critère qui est loin de correspondre aux activités principales de CDMV, un centre de distribution de médicaments vétérinaires implanté à Saint-Hyacinthe depuis 1972.
« On avait étiré les règles pas mal, a confessé Bernard Forget, au cours d’une entrevue accordée au COURRIER pour discuter des plus récents états financiers de l’organisme voué au développement du parc technologique de la Cité de l’innovation agroalimentaire. Un coup comme celui-là, on a pu le réussir une fois, mais ce ne serait plus possible. La porte est fermée et c’est correct. »
Même si le ministère de l’Agriculture avait consenti à l’installation du siège social de CDMV à l’intérieur de la Cité en 2021, Québec n’a pas tardé à resserrer les règles du jeu pour éviter toute tentation ou récidive. Un nouveau décret visant à modifier celui signé entre le gouvernement et l’organisme en 2003, au moment de la cession de terres agricoles de 22,1 hectares qui ont permis la création de la Cité, a été négocié en mars 2022, avant que CDMV emménage dans ses nouveaux locaux. Ce deuxième décret visait « à définir ce qu’est une entreprise de hautes technologies ».
On considère désormais une entreprise de hautes technologies comme une entreprise, incluant les centres de recherches gouvernementaux, collégiaux et universitaires de même que leurs laboratoires, dont l’activité principale est la recherche, le développement et l’innovation. « Si des activités de transformation, de production et de commercialisation s’exercent sur le site d’une telle entreprise, elles doivent demeurer accessoires », précise le nouveau décret.
Quant aux activités principales des futures entreprises au sein de la Cité, elles devront satisfaire de nombreux critères, dont avoir une haute intensité d’activités de recherche, de développement et d’innovation, avoir une forte proportion de revenus réinvestis dans ces activités et compter parmi ses effectifs une forte proportion de personnel scientifique hautement spécialisé.
Ce deuxième décret exige également que 50 % des profits découlant de la vente des terrains par Saint-Hyacinthe Technopole soient versés à l’Institut de technologie agroalimentaire du Québec. Depuis sa fondation, un seul terrain a été vendu à un promoteur privé et fait l’objet d’un partage de profits. Il s’agit du terrain où est implantée l’entreprise Natur+L XTD, sur l’avenue José-Maria-Rosell.
Pour jouir de son nouveau siège social, CDMV est liée à Saint-Hyacinthe Technopole par un bail de 25 ans assorti d’un loyer annuel de 2 M$. « CDMV est un locataire AAA, le genre de locataire que l’on recherche pour des projets d’envergure. Il n’était pas question de le perdre, alors que c’était une réelle possibilité. Nous avons réussi à consolider sa présence chez nous et nous n’avons aucun regret », mentionne celui qui occupe un poste d’associé chez Raymond Chabot Grant Thornton.
Un budget et un service de la dette records
À moins qu’un locataire de grande qualité comme CDMV se manifeste, il serait surprenant de voir Saint-Hyacinthe Technopole se lancer à court terme dans des projets immobiliers de grande envergure.
La hausse fulgurante des taux d’intérêt ces dernières années n’a pas été sans conséquence sur le service de la dette de l’organisme qui se trouve au niveau le plus élevé de son histoire, tout comme son budget de fonctionnement.
Au 31 décembre dernier, sa dette à long terme dépassait tout juste les 50 M$. Les intérêts à payer sur cette dette avaient nécessité des déboursés de 3,1 M$, soit 1,4 M$ de plus que l’année précédente pour une dette quasiment identique. Puisque la grande majorité de cette dette est refinancée à court terme, la fluctuation des taux d’intérêt a un impact considérable.
Au 31 décembre 2023, le taux préférentiel était de 7,20 %, alors qu’il était de 6,45 % à peine un an auparavant. Durant l’exercice en cours, l’organisme devra d’ailleurs refinancer sa dette à long terme à la hauteur de 37,5 M$. Plusieurs des prêts qui étaient à renégocier ce printemps affichaient des taux d’intérêt de 6,60 %, voire un taux de 7,01 % pour un prêt de 9,8 M$ renouvelable ce mois-ci. La décision de la Banque du Canada de réduire de 25 points de base son taux directeur, qui s’établit maintenant à 4,75 %, une première baisse de taux depuis mars 2020, est donc bienvenue à Saint-Hyacinthe Technopole, où l’on souhaite que le mouvement se poursuive dans cette direction.
« Des taux d’intérêt de 7 %, nous ne les avions pas vus venir, mais on les assume et on pense bien qu’on a atteint le plafond. Nous avons encore la tête hors de l’eau, mais à 10 %, on avalerait de l’eau pas mal », décrit Bernard Forget.
En ce qui concerne les revenus de l’organisme, ils ont franchi la barre du 8 M$ lors du dernier exercice financier, soit 2,5 M$ de plus que l’année précédente. Un gain qui s’explique en partie par le bail de CDMV et le financement reçu pour les activités du volet immigration qu’il a récupéré de la fusion avec Forum 2020. En revanche, il a terminé son année financière avec un surplus d’à peine 69 178 $, soit 300 000 $ de moins qu’un an plus tôt. Son bas de laine s’élève pour sa part à près de 4 M$.
Même s’il profite d’une santé financière « confortable », il n’y a pas de place pour les excès ou les projets risqués dans le contexte actuel, reconnaît M. Forget. « Nous ne courons pas après les risques, mais nous sommes en mesure de saisir les opportunités qui se présenteraient provenant de locataires AAA par exemple. Nous n’avons pas souhaité racheter l’ancien siège social de CDMV pour ne pas nous exposer. Pour le remplir, le risque aurait été trop grand. »
Le même raisonnement s’applique pour l’usine TC Transcontinental de Saint-Hyacinthe, qui se retrouve sur le marché après la fermeture définitive de son imprimerie il y a quelques semaines à peine. « Son sort nous préoccupe, car elle pourrait se destiner à des activités d’entreposage, même si ce n’est pas ce que l’on souhaite pour la création d’emplois. Mais si elle est reprise par une entreprise locale qui y consolide ses activités, ce sera un moindre mal. »