Dans son édition de la semaine dernière, LE COURRIER rapportait que cet effort de syndicalisation visait à obtenir de meilleures conditions de travail pour les employés de la bibliothèque.
En entrevue, le conseiller syndical du Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP) Maxime Ste-Marie avait jugé particulier le cas de Saint-Hyacinthe, qui avait confié la gestion de ses infrastructures à des organismes à but non lucratif, une tâche qui est généralement l’apanage de cols blancs.
« C’est une façon détournée d’avoir du cheap labor », avait affirmé M. Ste-Marie.
Des propos qui ont surpris le maire Beauregard. « J’ai toujours pensé que la direction de la bibliothèque payait bien ses employés et je n’ai pas de raison de croire que ce n’est pas le cas. On est sûrement dans la moyenne des salaires », a-t-il indiqué en entrevue.
M. Beauregard a reconnu ne pas être au courant des conditions de travail des salariés de la bibliothèque. La Ville alloue en effet un montant à l’organisme qui gère la bibliothèque, et c’est le conseil d’administration de celui-ci qui détermine le traitement de son personnel, et donc qui négociera avec le nouveau syndicat.
Notons que la conseillère municipale Claire Gagné et la conseillère Arts, culture et patrimoine de la Ville Valérie Arsenault siègent au conseil d’administration de Bibliothèques Saint-Hyacinthe à titre d’observatrices.
Des conditions équivalentes
« Quand on a accordé la nouvelle subvention, on a regardé ce qui se faisait ailleurs pour voir si ça se situait dans la médiane, indique le maire. On fait la même chose quand on négocie avec les syndicats de la Ville, que ce soit les cols bleus, les cols blancs ou les pompiers, par exemple. On va voir avec les villes comparables et on essaie d’être dans la médiane. »
D’ailleurs, précise M. Beauregard, la bibliothèque municipale a toujours été gérée par un OBNL, et ce, depuis sa fondation.
« Ça n’a jamais été la volonté de la Municipalité que la bibliothèque soit gérée par un c.a., confirme Yves Tanguay, qui a dirigé la Médiathèque maskoutaine entre 2002 et 2019. C’était la volonté des citoyens. »
M. Tanguay reconnaît que, comme l’OBNL est un intermédiaire entre la Ville et les employés de la bibliothèque, la Municipalité pourrait se permettre de jouer « plus dur » au moment de négocier les fonds alloués.
« Quand je suis arrivé, il n’y avait pas beaucoup d’argent qui était donné à la bibliothèque, rappelle-t-il. Au fil des ans, on a réussi à les convaincre d’investir davantage. »
M. Tanguay a aussi négocié – et obtenu – que les employés des bibliothèques maskoutaines aient des conditions de travail représentant 90 % de celles des travailleurs municipaux de classe équivalente. « C’était le salaire minimum quand je suis arrivé, déplore-t-il. Mais je ne sais pas si l’entente que j’ai négociée est encore en vigueur aujourd’hui. »
« Moi, je l’ai fait parce que ça prenait quelqu’un pour dire que même si on était une corporation à but non lucratif, on méritait d’avoir de bons salaires », poursuit le gestionnaire.
L’embauche de nombreux employés, attribuable à l’agrandissement de la nouvelle bibliothèque, explique peut-être l’effort de syndicalisation. « Sans bonnes conditions de travail, les gens vont partir, surtout dans le contexte actuel, et ça va être difficile au niveau du recrutement et de la rétention du personnel », estime M. Tanguay.
Le beurre et l’argent du beurre
Invitée à réagir aux propos de M. Ste-Marie, la directrice intérimaire du Centre des arts Juliette-Lassonde, qui est aussi une corporation à but non lucratif, a condamné l’expression « cheap labor ».
« C’est sûr qu’on n’est pas d’accord avec ce commentaire-là, a affirmé Anouk Charbonneau au COURRIER. Il y a plein de raisons qui expliquent que Saint- Hyacinthe a confié à des organismes mandataires la gestion de ses infrastructures socioculturelles. »
Selon elle, la structure actuelle permet de recruter des employés avec une expertise spécifique et d’obtenir du financement gouvernemental que la Ville ne pourrait aller chercher.
En aucun cas, le fait qu’un organisme chapeaute la bibliothèque ou le Centre des arts n’a pour objectif de payer moins les travailleurs, relève-t-elle. « Au contraire, on s’arrange pour avoir de bonnes conditions de travail, souligne Mme Charbonneau. On fait des comparatifs, on s’ajuste et on se parle pour que notre offre ait du sens. »
La directrice ne craint d’ailleurs pas que ses employés se syndiquent comme l’ont fait ceux de la bibliothèque T.-A-St- Germain. « Je crois qu’actuellement, on a le beurre et l’argent du beurre! » lâche-t-elle avec humour.
Une exception dans l’exception
Si le fait de confier la gestion d’un organe municipal à un OBNL est rare, il n’est toutefois pas aussi étonnant que semble le croire M. Ste-Marie.
Sur 176 bibliothèques publiques, environ une dizaine ont un modèle corporatif similaire à celui de Saint-Hyacinthe, indique Ève Lagacé, directrice générale de l’Association des bibliothèques publiques du Québec.
Certaines sont syndiquées, comme c’est le cas de l’Institut canadien du Québec, qui gère les bibliothèques de la Ville de Québec ayant été en grève plus tôt cette année.
La Belle Province fait toutefois figure d’exception par rapport au reste du Canada et aux États-Unis, dont la plupart des bibliothèques sont gérées par des organismes tiers. Ainsi, on pourrait dire que la bibliothèque T.-A.-St- Germain est en quelque sorte une exception dans l’exception.
Cette municipalisation des établissements est un legs de la Révolution tranquille, indique Mme Lagacé. « Les deux réseaux – francophone et anglophone – ne se sont pas développés au même rythme, et la religion catholique y a beaucoup à voir, explique-t-elle. C’est vers la fin des années 1970 que le ministère de la Culture a vraiment fait un effort considérable pour soutenir les municipalités pour qu’elles prennent la charge des bibliothèques. »
Il n’existe par ailleurs aucune étude qui démontre la supériorité d’un modèle par rapport à l’autre, précise Mme Lagacé. « Ce n’est pas tout noir ou tout blanc », dit-elle à propos des avantages et des inconvénients de chacun.
Par Marie-Ève Martel