Dans la foulée des révélations médiatiques au printemps 2023, la ministre de l’Enseignement supérieur, Pascale Déry, avait ordonné la tenue d’une enquête administrative. La firme Quantum Juricomptable avait obtenu le mandat d’analyser la gouvernance et le climat organisationnel au sein de la haute direction et du conseil d’administration. Du mois d’août 2023 au mois d’avril 2024, la firme a rencontré 54 personnes et a consulté plus de 1700 documents afin de dresser un portrait complet qui déplore plusieurs lacunes ayant nui à la saine gouvernance et au climat de travail.
L’enquête a, entre autres, été déclenchée après qu’un rapport interne commandé par l’Association des cadres s’est retrouvé au cœur d’une enquête journalistique publiée par Le Courrier de Saint-Hyacinthe au printemps 2023. Élaboré à partir de témoignages et de perceptions de cadres non identifiés, ce document rapportait entre autres des allégations concernant le directeur général, dont des propos menaçants qu’on lui prêtait. L’enquête du Ministère a pu faire la lumière sur ce document.
Au-delà de ce document, les enquêtrices ont observé qu’on recourait, de manière générale, aux menaces de sanctions, comme de potentielles poursuites judiciaires, et qu’on propageait également des opinions négatives ou des reproches injustifiés ou exagérés afin de justifier des actions ou des décisions auprès du conseil d’administration et du comité exécutif. Plusieurs passages dans le rapport d’enquête, dont les noms des personnes impliquées, ont été caviardés. Au bureau de la ministre Déry, on indique que ces caviardages avaient pour objectif de protéger les témoins ayant participé à l’enquête.
Diagnostic de climat de travail
Le rapport d’enquête revient en détail sur le déroulement des événements du printemps 2021, moment où le diagnostic de climat de travail a été réalisé à la demande des cadres.
Alors averti par le président de l’Association des cadres, Daniel Ross, du souhait de l’Association d’effectuer un diagnostic de climat de travail par une firme indépendante, Emmanuel Montini a plutôt proposé une démarche conjointe, ce qui a été rejeté par l’Association.
Pendant que la firme indépendante réalisait des entrevues avec des cadres volontaires, le conseil d’administration a adopté une modification à sa réglementation afin de permettre la captation sonore et audio, sans l’autorisation des personnes concernées, pour tout motif raisonnable identifié par le collège. À ce moment, les cadres rencontrés ont eu la perception que des représailles pouvaient être entamées contre eux, indique le rapport.
M. Montini n’a pas participé au diagnostic de climat de travail, ayant délégué le directeur des ressources humaines pour rencontrer la firme. Il a mentionné avoir des urgences pour justifier cette décision.
Lorsque le rapport sur le climat de travail a été partagé au comité exécutif le 17 mai 2021, il a aussitôt été transmis au directeur général, le même jour. Le document n’a jamais été partagé aux autres membres du conseil d’administration.
« Il aurait été prudent d’en discuter avec un comité restreint de personnes avant de le transmettre au directeur général. Il aurait été possible de mettre en œuvre un processus indépendant de gestion d’allégations d’actes répréhensibles », soutiennent les autrices du rapport.
Dans le rapport d’enquête, on mentionne que M. Montini a immédiatement réagi, mais la manière dont cela s’est concrétisé est complètement caviardée. Les enquêtrices précisent qu’il a menacé tous les cadres, lors d’une rencontre en juin 2023, de « mesure appropriée » si le rapport sortait publiquement et en a exigé la destruction.
Un comité de négociation de crise a ensuite été créé avec l’Association des cadres, ce qui a culminé à la signature d’une lettre de dissociation près de six mois après la publication du diagnostic de climat de travail. Cette lettre n’a toutefois jamais été soumise aux membres de l’Association. Ces derniers ont reçu comme information qu’une entente avait été conclue.
De façon neutre, les enquêtrices estiment que les citations percutantes écrites dans le diagnostic de climat de travail ont eu pour effet de nuire à la crédibilité et à l’acceptabilité de ce document auprès de certaines personnes.
Dans le rapport de l’Association, on faisait également mention qu’un groupe de cadres avait une bonne collaboration avec la direction générale et qu’un autre groupe exprimait des préoccupations importantes. Les enquêtrices mentionnent que cette impression était aussi perceptible dans leurs entrevues.
Gouvernance sous la loupe
Les juricomptables soulèvent aussi plusieurs préoccupations concernant la gouvernance du Cégep de Saint-Hyacinthe entre 2020 et 2023. Entre autres, on souligne que des exigences du directeur général ont mené son équipe à appliquer un processus de façon non familière ou à accélérer des processus administratifs pour obtenir les résultats qu’il attendait.
Les enquêtrices ont, entre autres, observé que le comité exécutif a parfois approuvé des décisions sans suivre les règles internes de gestion contractuelle. Le conseil d’administration a accepté de déléguer l’ensemble de ses pouvoirs d’approbation pour les acquisitions de biens ou services au comité exécutif. Ainsi, aucun contrat d’acquisition de biens ou de services n’avait l’obligation d’être présenté au conseil d’administration pour décision.
On relate aussi plusieurs dossiers, sans en dévoiler le nombre exact, pour lesquels M. Montini était en apparence de conflit d’intérêts et pour lesquels il ne s’est pas entièrement dissocié du processus de prise de décision. Entre autres, M. Montini ne s’est pas retiré des décisions visant l’embauche de personnes issues de son réseau de contacts. Dans le traitement de certains dossiers, des cadres ne se sont pas retirés complètement de discussions afin d’éviter tout conflit d’intérêts réel, apparent ou potentiel, note le rapport.
En novembre 2018, M. Montini a, pour sa part, proposé des modifications au règlement 1 du Cégep de Saint-Hyacinthe, ce qui lui a permis d’embaucher plusieurs postes-cadres sans obtenir l’approbation du comité exécutif, peut-on lire dans le rapport d’enquête. Le comité exécutif est devenu responsable uniquement de la nomination de cinq cadres de direction sur une trentaine.
Depuis mai 2023, le directeur général Emmanuel Montini est en congé de maladie. Son contrat doit en principe se prolonger jusqu’en mai 2027. Fanie-Claude Brien assure l’intérim à la direction générale depuis le début d’année 2024.
LE CÉGEP ANALYSE LE RAPPORT
Le conseil d’administration du Cégep de Saint-Hyacinthe a reçu le rapport d’enquête commandé par le ministère de l’Enseignement supérieur et entamera son analyse, nous indique-t-on dans un communiqué de presse. On nous précise qu’aucun porte-parole du Cégep n’accordera d’entrevue.
« Nous traitons cette situation qui s’est déroulée entre 2018 et 2023 avec toute la diligence requise. Il est important de préciser que les pratiques de saine gouvernance ont été améliorées depuis 2024 afin de favoriser le rétablissement d’un climat de travail bienveillant et respectueux. Les allégations contenues dans le rapport ne sont pas conformes aux valeurs du Cégep. Après l’examen approfondi des conclusions et recommandations du rapport, le conseil d’administration du Cégep de Saint- Hyacinthe prendra, si nécessaire, les mesures appropriées pour garantir un environnement de travail respectueux et maintenir la confiance de l’ensemble des employés, des étudiants et des parties prenantes », signe le conseil d’administration.
Dans une note interne, la directrice générale par intérim Fanie-Claude Brien mentionne que « des experts ont été sollicités pour accompagner [le] cégep ». Aucune information n’est donnée sur l’identité de ces experts.
En entrevue avec LE COURRIER, le président de l’Association des cadres à l’époque, Daniel Ross, s’est dit rassuré de voir les constats du rapport d’enquête du gouvernement confirmer les allégations soulevées par les cadres en 2021. « On n’était pas fou! a-t-il lancé. On n’avait pas tort. On n’était pas contre le directeur général, on était pour le Cégep. »
L’homme maintenant à la retraite espère que le Cégep pourra désormais tourner la page sur cet épisode. « Je ne pense pas que le directeur général pourra revenir dans ses fonctions. J’espère que le Cégep pourra aller de l’avant et nommer une personne à la direction générale, qu’elle ne soit pas juste en intérim. C’est juste dommage que le collège ait perdu une grosse partie de sa réputation avec ces conflits », déplore-t-il.
Les autrices du rapport ont fait transmettre deux lettres regroupant leurs recommandations au ministère de l’Enseignement supérieur. Le Courrier de Saint-Hyacinthe a fait une demande en vertu de la Loi sur l’accès aux documents d’organismes publics pour les consulter.
Le président du conseil d’administration de 2021 à 2023, Augustin Brais, a refusé de nous accorder une entrevue. Les membres du comité exécutif à l’époque, Patrick Filion et Nathalia Wosik, ont demandé au COURRIER de contacter la firme de relations publiques embauchées par le Cégep de Saint-Hyacinthe.
Le Syndicat des professeurs du Cégep de Saint-Hyacinthe a aussi décliné notre demande d’entrevue.
UN RAPPORT ERRONÉ, SELON EMMANUEL MONTINI
Par l’entremise de son avocate, Emmanuel Montini indique avoir pris connaissance du rapport caviardé transmis. « Il s’avère que celui-ci est truffé d’informations erronées. Les conclusions tirées par la firme retenue sont non seulement fausses et mensongères, mais revêtent un caractère diffamatoire. Notre client verra donc à entreprendre les démarches qui s’imposent afin que les faits soient rétablis », nous indique-t-on.
« Sa participation fut limitée à une seule rencontre tenue en février, les enquêteurs n’ayant pas tenu compte de certains documents et informations remis, n’ayant pas requis tous les documents et informations disponibles et n’ayant proposé aucune rencontre de suivi à la suite de cette seule rencontre malgré la disponibilité offerte par notre client. Bref, cette enquête fut quant à nous bâclée », ajoute l’avocate de M. Montini dans sa réponse à notre demande d’entrevue.