Durant la campagne, le multimillionnaire a multiplié les déclarations ordurières et mensongères, notamment sur les immigrants haïtiens de l’Ohio qui enlèveraient et mangeraient des animaux domestiques des Américains. Ajoutons à cela la pléiade d’accusations auxquelles il fait face. Plusieurs observateurs politiques se questionnent à savoir pourquoi aucune incartade ne discrédite l’ancien président aux yeux d’une majeure partie de l’électorat américain.
Le sulfureux personnage divise certes, mais aussi fascine. Souvent incompris de ce côté de la frontière, l’effet Trump a résolument remodelé le paysage politique américain, mais aussi à l’échelle internationale. Loin du politically correct, Donald Trump n’a résolument pas la langue dans sa poche. C’est sans doute là que réside sa principale arme politique. Il peut ainsi se présenter comme le champion du petit peuple, qui dit tout haut ce que tout le monde pense tout bas, face à une clique de politiciens de carrière qui n’ont à cœur que leurs intérêts personnels.
LE COURRIER a voulu savoir quel regard nos politiciens portent sur ce phénomène politique. Dans une autre mesure, devons-nous nous attendre à ce que Donald Trump fasse des émules chez nous?
Simon-Pierre Savard-Tremblay
Pour le député bloquiste de Saint- Hyacinthe–Bagot, Simon-Pierre Savard-Tremblay, l’effet Trump s’explique en un mot : démagogie.
À titre de vice-président du Comité permanent sur le commerce international de la Chambre des communes, M. Savard-Tremblay a été appelé à mener plusieurs missions aux États-Unis. Le député bloquiste est donc bien au courant de ce qui se passe chez nos voisins.
« C’est la démocratie. Contrairement à 2016, il a remporté la majorité du vote populaire. Il est légitime. Je vais bien sûr continuer à travailler avec mes homologues américains pour défendre nos intérêts comme je le faisais auparavant », explique d’entrée de jeu le député bloquiste.
« Je pense que Trump a gagné parce que la classe politique a trop longtemps délaissé certaines franges de la population qui se sentent victimes du système. Il dit à ces gens-là ce qu’ils veulent entendre, c’est simple. Cependant, on traverse la ligne quand on stigmatise volontairement certains groupes désignés comme bouc émissaire, quand on ne tombe pas carrément dans les dérapages. »
M. Savard-Tremblay déplore l’indiscipline qui règne présentement à la Chambre des communes qui, selon lui, est le résultat des attaques répétées du chef conservateur contre les troupes libérales qui frisent souvent l’insulte.
« Pierre Poilievre est la réponse à un premier ministre qui est 100 % dans le politically correct : Justin Trudeau. M. Poilievre sait très bien ce qu’il fait. Il fait l’inverse de ce que fait M. Trudeau. »
Le député rappelle que les membres du Parlement auront fort à faire lors du prochain mandat de M. Trump alors que l’Accord de libre-échange Canada–États-Unis–Mexique devra être renégocié en 2026.
Chantal Soucy
Pour la députée de Saint-Hyacinthe, Chantal Soucy, l’élection de Trump annonce l’arrivée prochaine de plusieurs nuages noirs.
« La démocratie a parlé et les Américains ont voté en majorité pour lui. Nous n’avons pas à nous mêler des affaires de nos voisins », explique la députée caquiste.
Cependant, en tant que femme, Mme Soucy dit s’inquiéter pour le sort de ses consœurs américaines. « On n’a pas besoin de lire tout ce qui a été écrit sur lui pour comprendre que M. Trump n’a pas le plus grand respect pour les femmes. Je m’inquiète pour le droit à l’avortement et pour le droit des femmes à disposer librement de leur corps. On doit être vigilant, ici au Québec. On le voit avec ce qui se passe là-bas. Les droits des femmes restent fragiles. »
La députée dit également craindre le protectionnisme américain qui, selon elle, pourrait entre autres faire très mal aux agriculteurs de la région. « L’augmentation des tarifs douaniers pourrait aussi durement toucher les entreprises de la région qui exportent beaucoup vers les États-Unis. Si Trump décide de s’attaquer au système de la gestion de l’offre, ce sera désastreux pour le Québec. La possible levée des mesures de protection environnementale pour les agriculteurs américains leur procurerait un énorme avantage compétitif face aux agriculteurs québécois », souligne Mme Soucy.
À titre de vice-présidente de l’Assemblée nationale, Mme Soucy a un devoir de réserve et doit se comporter de manière à conserver la confiance des parlementaires lorsqu’elle préside les débats. Elle doit veiller à ce que tous les députés, quelle que soit leur affiliation politique, aient voix au chapitre à l’Assemblée. Deux conditions essentielles pour asseoir la crédibilité nécessaire à l’exercice de ses fonctions : la légitimité et la neutralité. Elle est donc à même de juger les « dérapages » de M. Trump.
Si elle déplore les mensonges et les propos orduriers de l’ancien président, elle estime que le paysage politique québécois est très différent. « C’est un personnage, Donald Trump, et heureusement, il n’y a pas de politicien comme ça ici. À l’Assemblée nationale, les propos des députés sont réglementés et, quand un élu franchit la ligne, il est rapidement remis à l’ordre. Il y a quand même un certain respect entre nous. »
Émilien Pelletier
De son côté, Émilien Pelletier, ancien député péquiste de Saint-Hyacinthe de 2008 à 2014 et conseiller municipal à la Ville de Saint-Hyacinthe de 2000 à 2008, s’inquiète de la montée de la droite un peu partout en Occident.
« Ces gens-là utilisent l’économie comme arme politique. Comment peut-on dire qu’on va baisser les impôts pour les plus riches et en même temps que les pauvres vivront mieux? C’est un discours qui est vide de contenu. Ils parlent des deux côtés de la bouche. On sème la confusion. Les gens les croient parce qu’ils leur disent ce qu’ils veulent entendre : “L’économie va mal et c’est à cause des politiques sociales” », affirme l’ancien homme politique.
M. Pelletier estime que l’élection de Trump représente un recul pour les droits collectifs, surtout pour ceux des femmes. Il estime que le Québec n’est pas à l’abri de ce phénomène. « C’est inquiétant pour le Québec. On ne peut nier l’influence américaine de ce côté de la frontière. On peut penser à la politique commerciale protectionniste que Trump va mettre en place, mais aussi à la façon de faire de la politique. Au fédéral, le chef conservateur Pierre Poilievre utilise un peu la même stratégie que Trump : diviser pour gagner, mais je ne m’en fais pas outre mesure. Nous en avons vu d’autres. Les Américains ont fait leur choix et il faut le respecter », conclut M. Pelletier.