17 juillet 2025 - 03:00
Forum
Les pelleteux de boucane
Par: Le Courrier

Lorsque le ministre de l’Éducation, Bernard Drainville, a annoncé qu’il fallait comprimer les dépenses de 500 millions $, le monde de l’éducation a été estomaqué. Pour s’opposer à ces compressions budgétaires, une pétition à l’Assemblée nationale a recueilli déjà plus de 157 000 signatures; il pourrait s’en ajouter d’autres d’ici la date limite du 15 septembre.


Comme ex-enseignant, cette situation m’interpelle. En juin 2007, j’ai pris ma retraite après 33 ans de carrière. J’aurais pu œuvrer pendant quelques années de plus, mais la Commission scolaire de Saint-Hyacinthe (aujourd’hui le Centre de services scolaire) avait décidé d’implanter la réforme. Cela voulait dire que je devrais travailler quatre fois plus fort pour tenter de mettre cette réforme bancale sur pied. Comme j’avais déjà 61 ans, j’ai préféré passer mon tour.

D’année en année et de gouvernement en gouvernement, les débats entourant la réforme faisaient rage dans les médias et le monde de l’enseignement. Vers 1999 (si ma mémoire est bonne), une sommité du Ministère devait nous expliquer cette huitième merveille du monde lors d’une journée pédagogique. Devant l’ensemble du personnel de la polyvalente Hyacinthe-Delorme (PHD), notre directeur,
M. Charest, nous la présente selon les formulations habituelles. Mais au lieu de voir apparaître immédiatement cet expert, on voit poindre un petit nuage de fumée du côté gauche de l’estrade! Après un moment de suspense, ce monsieur se dirige vers le lutrin en marchant dans son mini-nuage de boucane! Selon mon appréciation personnelle, les groupes de musique rock ont de bien meilleurs spectacles de boucane!

Revenons en arrière. Dans les années 70, pour que le « fils du médecin puisse côtoyer le fils du mécanicien » (selon la Commission Parent), les polyvalentes offraient des programmes de « professionnel court ». J’enseignais la menuiserie d’atelier, tandis que d’autres enseignaient la mécanique, la soudure, l’horticulture, la coiffure, etc. Pour favoriser la persévérance de nos élèves en difficultés académiques, notre argument massue était : « Tough ton français pis tes maths, pis t’auras un diplôme dans ton métier ».

Ça donnait des résultats satisfaisants, mais les pelleteux de boucane ne le voyaient pas du même œil. Selon eux, le niveau académique des diplômés du professionnel court était insuffisant pour poursuivre des études au cégep. Par conséquent, ils ont mis la clé dans la porte du « professionnel court » au milieu des années 80. Lors du démantèlement de ces ateliers scolaires, j’ai été témoin d’un paquet de matériaux et de machines-outils qui ont été mis dans le « container » à déchets! Cela représente combien d’argent gaspillé?

Malgré les diktats de ces experts, les besoins des élèves ayant des difficultés académiques n’avaient pas disparu par enchantement. Pour leur apprentissage, ceux-ci ont besoin de choses concrètes plutôt qu’abstraites. Après un paquet de coûteuses études d’experts du Ministère et de doctes rapports, on avance comme solution innovante le « volet (ou voie) technologique ». Pas tout à fait, mais presque un retour à la case départ! Donc, des profs d’IAT (Initiation à la technologie) comme moi ont enseigné ce volet!

À Saint-Hyacinthe, dans le secteur public, les écoles secondaires Fadette et Casavant se spécialisaient dans le secondaire 1 et 2, tandis que la PHD s’occupait du 2e cycle du secondaire. Mais notre commission scolaire avait pour ambition d’être à l’avant-garde de la réforme. Sans aller dans toutes les péripéties de l’histoire, disons qu’à partir de 2001, nos trois écoles auraient des élèves du secondaire 1 au secondaire 5.

À quelques jours d’avis, je devais déménager mon atelier d’Initiation à la technologie à Casavant. Déménager un prof de français, c’est déménager une armoire contenant une série de dictionnaires et de grammaires ainsi qu’un classeur contenant ses travaux. Mais un atelier! Oui, un classeur, mais aussi une armoire avec un inventaire complet d’outils (inventaire qu’il faut vérifier!) plus six armoires pour les projets de chaque groupe d’élèves plus une scie à ruban plus une sableuse à courroie plus une perceuse à colonne sans oublier un dépoussiéreur industriel.

Au nouvel emplacement, qui n’a pas été conçu pour devenir un atelier, il faut installer chaque outil correctement pour maximiser l’utilisation de l’outil par les élèves, s’assurer que ça respecte les normes de sécurité et faire installer des prises de courant électrique qui correspondent à la puissance de chaque machine-outil.

Les caprices des pelleteux de boucane bousculaient aussi les autres matières. Si on place des élèves de français d’un niveau différent dans une nouvelle école, il faut avoir des livres (romans, manuels de référence, etc.) qui correspondent à ce niveau à la bibliothèque scolaire; trois inventaires complets de livres dans trois écoles impliquent des coûts supplémentaires. Il y avait maintenant trop de laboratoires pour le cours de biologie en secondaire 3; il faut en démolir un à la PHD et en rebâtir un à Casavant et un à Fadette. À l’inverse, pour le cours d’économie familiale en secondaire 2, il y a maintenant trop d’appareils de cuisine à Casavant et Fadette; mais il faut en installer à la PHD. Bref, si vous avez fait faire des rénovations par un plombier ou un électricien, vous avez peut-être une petite idée du gaspillage financier.

Les pelleteux de boucane ont « fusionné » les cours de science et de technologie. En théorie, dans une belle tour d’ivoire, la technologie peut être une application pratique au cours de science. Mais en pratique, dans un cours d’IAT, la norme du Ministère était un maximum de 23 élèves par classe, surtout pour des questions de sécurité. La science, comme les autres matières académiques, a un maximum de 32 élèves par groupe. Désormais, la norme sera de 32 en atelier… et tant pis pour la sécurité!

De plus, le champ d’enseignement #13 (science) et mon champ de technologie (#16) sont désormais unifiés pour devenir le « nouveau champ 13 ». Les profs de science sont très compétents avec leurs instruments de laboratoire, mais ils ne le sont pas dans un atelier où il y a des enjeux de sécurité. De même, ces nouvelles normes du Ministère affirment que j’aurais pu enseigner la chimie de secondaire 5, même si je suis totalement incompétent pour le faire!

Que les compétences et aptitudes requises pour enseigner la science dans un laboratoire soient radicalement différentes que celles requises dans un atelier scolaire sont de « petits détails » qui échappent aux pelleteux de boucane.

Voilà plus de 25 ans, Lise Payette avait produit un documentaire où il était dit que notre ministère de l’Éducation avait 5000 fonctionnaires ou consultants à son service, alors que le Danemark, avec une population du même ordre de grandeur, en avait seulement 55. Si M. Drainville veut épargner 500 millions $ sans réduire les services à l’élève, mon petit conseil serait de sortir les pelleteux de boucane de leur tour d’ivoire et de mettre chacun d’entre eux devant un groupe d’élèves. Non seulement cela permettrait de répondre à la pénurie d’enseignants, mais ces « experts » seraient moins enclins à pondre des projets pharaoniques, déconnectés de la réalité et qui coûtent une fortune sans réellement répondre aux besoins des étudiants.

Gérard Montpetit, enseignant à la retraite, La Présentation

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