25 septembre 2025 - 03:00
Forum
Se coucher devant Ottawa pour se tenir devant Trump?
Par: Le Courrier
Depuis le retour de Donald Trump à la présidence des États-Unis, il est de bon ton, chez certains bonimenteurs, de clamer que l’« unité canadienne » est le meilleur rempart face aux États-Unis et que l’indépendance du Québec serait un pari risqué dans le présent contexte. Alors que les élites canadiennes redécouvrent avec passion ce qu’elles détestaient hier (l’idée de souveraineté), ce qui serait bon pour les Canadiens et Canadiennes ne le serait pas pour les Québécois et Québécoises.

Si la souveraineté est si dépassée que cela, qu’elle est synonyme de division et d’instabilité, qu’elle représente une aventure incertaine à l’ère de la guerre tarifaire, alors ne faudrait-il pas que le Canada accepte tout bonnement de devenir le 51e État américain? Cela ne tient pas la route. Plus largement, Ottawa est-il le meilleur pari que peut faire la nation québécoise pour résister aux tornades mondiales?

La monnaie d’échange

Le premier écueil dans cette logique est que le passé récent a montré que les intérêts du Québec sont trop souvent une monnaie d’échange lorsque survient une négociation internationale. Le Québec n’a aucune délégation pour se faire entendre à la table de discussions. Pis encore, le Québec occupe toujours moins de sièges au Parlement canadien à chaque réforme de la carte électorale et pèse donc de moins en moins lourd. Par conséquent, Ottawa n’en a que pour les intérêts du Rest of Canada.

On l’a vu lorsqu’Ottawa a négocié des brèches dans notre agriculture laitière en échange de progressions pour le bœuf de l’Ouest en Europe. On l’a vu en 2020 lorsqu’Ottawa voulait accorder une protection à l’acier de l’Ontario, mais pas à l’aluminium du Québec dans le cadre des négociations entourant l’Accord Canada–États-Unis–Mexique. On l’a vu, l’été dernier, quand Mark Carney a annulé discrètement la taxe sur les services numériques 24 heures après que Donald Trump l’eut exigé sur X.

C’est également Ottawa qui a accepté, tant dans l’accord avec l’Union européenne que dans celui avec l’Amérique du Nord, des reculs dans la protection de la culture vis-à-vis du commerce agressif, protection qui se voulait un combat de longue date du Québec. C’est Ottawa qui a aussi constamment négligé un règlement durable du conflit du bois d’œuvre avec les États-Unis. Tant que l’automobile de l’Ontario en sort indemne, Ottawa est satisfait et les intérêts du Québec peuvent être sur la table.

Déjà le 51e État?

Il est également assez choquant de constater que, dans le domaine de la Défense (alors même que les dépenses militaires sont un important débat), Ottawa s’est comporté comme une véritable colonie américaine.

On l’a vu en 2022 avec la saga des F-35. Alors que Justin Trudeau jurait lors de l’élection de 2015 que le Canada n’achèterait jamais de F-35 de Lockheed Martin, Ottawa a renié sa parole pour annoncer, sept ans plus tard, l’achat de 88 avions F-35. Dans le cadre de cette entente, les États-Unis conservent la propriété intellectuelle de l’appareil, empêchant ainsi nos entreprises d’effectuer différents travaux. Était-il brillant de confier un pan stratégique de la défense canadienne au gouvernement américain? Une flotte aérienne canadienne sans autonomie propre, laissant le contrôle informatique et opérationnel aux Américains sur un produit mis de l’avant – et vendu à gros prix – par eux : on a vu mieux en guise de résistance à l’empire américain.

On a pu le voir aussi en 2023 alors qu’Ottawa a refusé à Bombardier le droit de participer à un appel d’4offres pour remplacer les avions de patrouille marine CP-Aurora… pour l’octroyer de gré à gré à l’américaine Boeing, qui offrait un appareil infiniment moins performant, en fin de vie.

On l’a vu plus récemment, en juillet, quand Ottawa s’apprêtait à attribuer un important contrat pour des jumelles de vision nocturne (100 millions $) à une entreprise américaine… après avoir trafiqué les critères de l’appel d’offres pour qu’elle soit la seule à pouvoir soumissionner, excluant une entreprise de Saint-Jean-sur-Richelieu.

Puis, en août dernier, La Presse révélait que, depuis janvier, près d’un milliard de dollars en contrats militaires ont été donnés par Ottawa à des entreprises basées aux États-Unis. Le gouvernement Carney n’était-il pas celui qui devait tenir tête aux Américains? Près d’un milliard de dollars en un claquement de doigts, pendant que bon nombre de Québécois et Québécoises sont prêts à payer plus cher pour acheter un pot de mayonnaise qui vienne d’ici plutôt que des États-Unis…

Ajoutons qu’Ottawa n’a toujours pas remis en question les importants investissements de la Défense américaine dans le secteur des minéraux stratégiques canadiens, malgré l’hostilité déclarée de l’administration Trump.

Le Québec dispose pourtant du troisième pôle en aérospatiale au monde, de chantiers de construction navale des plus performants, de minéraux stratégiques et de dynamiques entreprises en IA. Nous pourrions offrir une grande contribution à la défense nord-américaine… mais Ottawa préfère nous retirer de l’équation pour être le bar ouvert des États-Unis.

La conclusion qui s’impose

On retiendra, en somme, que non seulement Ottawa, lors de ses négociations, sacrifie allègrement les intérêts québécois lorsque cela lui permet d’avantager ceux du Reste du Canada, et que sa politique s’est très souvent limitée à offrir l’État canadien sur un plateau d’argent aux Américains. Il serait bien plus avantageux pour le Québec d’être un pays à part entière et de négocier en son nom propre.

Aucun peuple, de par le monde, ne renonce à sa souveraineté sous prétexte d’une crise. Aucun, non plus, n’estime qu’il soit mieux représenté par autrui que par lui-même. Dans le cadre des relations parfois houleuses avec les Américains, le Québec pourrait lui-même faire valoir ses intérêts et ses immenses ressources et être présent là où ça compte.

Les absents ont toujours tort. Être présent à la table de décision, cela signifie opter pour l’indépendance du Québec.

Simon-Pierre Savard-Tremblay, député de Saint-Hyacinthe–Bagot–Acton, porte-parole du Bloc québécois en Commerce international et en Défense nationale

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