17 novembre 2011 - 00:00
Entrevue avec Lawrence Hill
Aminata, le roman de l’esclavage
Par: Fabienne Costes
Lawrence Hill, auteur du roman <em>Aminata</em>.

Lawrence Hill, auteur du roman <em>Aminata</em>.

Lawrence Hill, auteur du roman <em>Aminata</em>.

Lawrence Hill, auteur du roman <em>Aminata</em>.

Lawrence Hill sera en conférence au festival Memoria le 21 novembre. En entrevue, il nous parle de son héroïne, Aminata, et de ce formidable roman sur l’esclavage qu’on peut qualifier de chef-d’oeuvre.

The Book of Negroes, la version originale anglaise, a fait le tour du monde. C’est un véritable phénomène international qui a valu de nombreux prix à son auteur. La traduction en français, Aminata, semble partie pour la même gloire. Le témoignage de cette enfant de 11 ans arrachée à son Afrique natale pour être vendue comme esclave n’a pas fini de bouleverser, de révolter et de fasciner.

Actuellement, en Occident et dans les médias de masse, on associe souvent le Coran à l’occultisme. Vous en faites dans votre roman un outil de connaissance : Aminata veut apprendre à lire pour connaître le Coran, le livre que lisait son père. Avez-vous sciemment fait cette distinction?

Je dirais que je ne suis pas tout à fait d’accord avec l’idée que le Coran représente automatiquement une forme de répression. Tout dépend de comment chaque homme ou femme vit sa religion. Et il y a tellement de façons différentes de vivre la foi musulmane.

Pour Aminata, le Coran représente l’alphabétisme. C’est aussi l’occasion de se développer intellectuellement. Ensuite, en faisant mes recherches, j’ai constaté qu’au 18e siècle, la foi musulmane commençait à se répandre en Afrique de l’ouest. Il était donc normal qu’Aminata et les habitants de son village soient musulmans. Ce désir de devenir alphabète et de déchiffrer les mots, elle l’emporte avec elle jusqu’en Amérique du Nord où elle arrive en tant qu’esclave. Il deviendra alors un moyen pour elle de se libérer et de s’ouvrir au monde. On retrouve ce désir d’apprendre à lire chez beaucoup d’esclaves noirs d’Amérique du Nord. Comme c’était interdit pour eux, je pense que le désir était encore plus fort.

Au début du roman, vous mettez en scène les habitants de ce coin d’Afrique de l’ouest qui construisent des murailles autour de leurs villages pour se protéger des « toubabs », les blancs, qui enlèvent les noirs pour, pensent-ils, les manger. Quels sont les documents qui vous ont permis d’établir cette perception qu’avaient les Africains des hommes blancs et de l’esclavage?

C’est en partie un travail de recherche et de lectures de faits vécus, mais il s’agit également d’un travail d’imagination. J’ai vécu à quelques reprises au Mali, au Niger et au Cameroun quand j’étais jeune homme en tant que bénévole pour le CCI (Carrefour canadien international). J’ai ainsi pu vivre dans les milieux ruraux de ces pays. J’ai vécu dans des villages semblables à ceux où est née Aminata.

À cette époque, on constatait que les gens disparaissaient, mais on ne savait pas où on les amenait. Je devais imaginer la terreur de ces gens et ça a été naturel d’envisager le pire. Le pire, il me semble que ça peut être que ces disparus soient dévorés. Je suis allé dans cette direction en laissant mon imagination colorer ce drame.

Justement, après son enlèvement, alors qu’elle n’a que 11 ans, Aminata va vivre une multitude de drames : elle voit ses parents mourir, se retrouve enchaînée sur le bateau négrier, elle est violée, etc. Malgré tout ce qu’elle traverse, elle ne devient pas folle : comment expliquez-vous cela?

On sait que tous les esclaves qui sont venus en Amérique du Nord et dans les Antilles ne sont pas tous morts et qu’ils n’ont pas tous été détruits émotionnellement. C’est ce qui était le plus intéressant pour moi dramatiquement. Non pas qu’elle puisse survivre à la séquestration et à cette traversée de l’océan, déjà la survie physique est un miracle, mais la survie émotionnelle est encore plus miraculeuse.

Je me suis intéressé à cette résilience des hommes qui sont parfois capables de survivre au pire. Que ce soit la traite d’esclaves, l’holocauste, le génocide au Rwanda ou la guerre dans l’ancienne Yougoslavie, les gens survivent au pire. Ils continuent, font des mariages, aiment leurs enfants et veulent quand même continuer à bien vivre. C’est cela que j’ai voulu comprendre en écrivant. Ensuite, j’ai pensé qu’un enfant comme Aminata aurait peut-être une plus grande élasticité émotionnelle qu’un adulte. J’ai pensé qu’elle deviendrait, parce qu’elle a survécu à ces épreuves, encore plus forte. Lors de sa conférence, Lawrence Hill se penchera sur l’épisode de l’exode, en 1783, des 3 000 loyalistes noirs qui ont embarqué à New York pour la Nouvelle-Écosse où le gouvernement britannique leur avait promis la liberté et des terres. Deux promesses qui ne furent pas tenues et qui les obligèrent à s’exiler encore, entre autres vers la Grande-Bretagne, le Québec ou l’Afrique. La conférence aura lieu le lundi 21 novembre, à 19 h, à la Bibliothèque Sainte-Rosalie. Réservation et abonnement à la bibliothèque requis.

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