Les images du visage tranché et ensanglanté d’Anthony Seyer ont fait le tour des médias québécois au lendemain des événements, lui qui s’est fait casser un verre dans le visage pour avoir défendu sa petite sœur qui se faisait agresser sexuellement par deux hommes au bar Le Shaker de Saint-Hyacinthe, et ont suscité une vague de solidarité pour le jeune homme de 21 ans. Il a même reçu une plaque honorifique de la part du député fédéral Simon-Pierre Savard Tremblay en janvier pour souligner son courage.
Malgré cela, la procureure chargée de son dossier lui a annoncé qu’elle n’irait pas de l’avant avec des accusations, notamment par manque de preuves, lors d’une rencontre d’une quinzaine de minutes au palais de justice de Saint-Hyacinthe vendredi après-midi. Une tournure qu’Anthony Seyer n’a jamais vue venir. « Ça ne m’est jamais passé par l’esprit que mon dossier pourrait être refusé. Jusqu’à vendredi, j’étais assez optimiste, mais j’ai perdu confiance dans le système depuis », mentionne M. Seyer, rencontré quelques jours après avoir encaissé la décision qu’il ne s’explique toujours pas.
Légitime défense?
Selon Anthony Seyer, il ne manque pourtant pas de preuves pour inculper celui qui l’a défiguré alors que les événements se sont passés devant plusieurs témoins et que la scène a été filmée par les caméras de sécurité du bar. Malgré cela, le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) n’a pas voulu aller de l’avant, précisant au 98,5 FM qu’il « a tenu compte de l’ensemble de la preuve et notamment des moyens de défense que le contrevenant pourrait vraisemblablement invoquer » pour se défendre en cas de procès. Il est sous-entendu que l’accusé aurait pu jouer la carte de la légitime défense puisqu’il est possible qu’Anthony Seyer, issu du milieu de la boxe, ait asséné le premier coup, même si c’était dans le but de protéger sa sœur.
Bien conscient de cette probabilité et du risque que son agresseur soit acquitté à l’issue du procès, Anthony Seyer souhaitait tout de même aller de l’avant, par principe. « Il suffit de me regarder la face : j’aurais été supposé être mort! Si ça ne suffit pas pour accuser mon agresseur, ça envoie le message que n’importe qui peut faire n’importe quoi et qu’il ne se passera rien », rage-t-il. Il maintient tout de même que malgré ce revirement, il n’a toujours aucun regret d’être intervenu ce soir-là et promet de se « retrousser les manches » pour la suite des choses. « Par principe, je vais faire une demande de révision du dossier, mais je n’ai pas grand espoir. Et c’est sûr que je veux aller au civil. […] J’ai perdu une bataille, mais la guerre n’est pas finie. » Il précise aussi que sa sœur Emy-Lee, qui a porté plainte pour les attouchements sexuels qu’elle a subis au Shaker, attend toujours la décision du DPCP d’aller de l’avant avec des accusations pour son dossier.
Plusieurs séquelles
L’agression, survenue il y a plus de deux mois, laisse encore des traces. La plus évidente est sa longue cicatrice au visage, mais la liste des séquelles est beaucoup plus longue. « Ma marque a assez bien guéri, mais mon sourcil gauche est toujours paralysé et je n’ai plus beaucoup de sensations de ce côté du visage. » M. Seyer suit divers traitements, dont la physiothérapie, sur une base régulière et doit se tenir loin du soleil pour éviter que sa cicatrice ne rougisse.
À cela s’ajoutent des « cauchemars post-traumatiques » qu’il fait depuis les événements du Shaker et d’autres conséquences liées au traumatisme crânien qu’il a subi. « J’ai des pertes de mémoire, je suis fatigué à longueur de journée et j’ai de la difficulté à me concentrer. En ce moment, je ne peux plus travailler, conduire ou aller à l’école. Je devais aller à l’université en enseignement, mais ça ne sera plus possible, du moins pas pour le moment », explique Anthony, qui n’a aucune idée de quand il pourra reprendre un rythme de vie normal. Depuis les événements, il a reçu 4200 $ du Shaker, montant équivalent à ce qui avait été amassé dans une campagne GoFundMe par le bar avant que l’initiative prenne fin subitement et rembourse tous les donateurs, et il espère être éligible à un montant de l’Indemnisation des victimes d’actes criminels (IVAC).
Depuis qu’il a publié une vidéo sur les réseaux sociaux vendredi dénonçant la décision du DPCP de ne pas poursuivre son agresseur, Anthony se dit surpris du nombre de personnes qui le contactent pour lui dire qu’elles ont aussi été victimes ou témoins de crimes parfois graves sans que des accusations ne soient portées. « Je ne suis pas le seul à qui ce genre de choses est arrivé! La seule différence, c’est que mon histoire a été partagée dans les médias. J’espère que ce qui m’est arrivé va inciter à changer les choses parce que le système judiciaire a beaucoup de failles en ce moment. »
LE COURRIER continuera de suivre les démarches entreprises par Anthony Seyer et ses proches au fil des prochaines semaines.