11 mai 2023 - 07:04
Fermeture annoncée de Dutailier
Chaise de collection
Par: Martin Bourassa
Martin Bourrassa

Martin Bourrassa

Les histoires entrepreneuriales du Québec inc. ne se ressemblent pas toutes. Il y en a qui commencent comme un conte de fées, mais qui se terminent bien mal. Comme celle du fabricant de meubles Dutailier, réputé pour ses fauteuils et tabourets oscillants.

Ceux-ci ont assis sa réputation. Mais ils ont aussi, dans une certaine mesure, contribué à sa perte. C’est que Dutailler a toujours privilégié le haut de gamme et la qualité contrairement à ses concurrents tournés vers la Chine.

Les meubles Dutailier ont toujours été fabriqués pour durer. Longtemps.

À l’image des réputés plats Tupperware, une autre société qui bat de l’aile, ils n’étaient pas forcément donnés, mais ils étaient solides, construits pour traverser le temps et les modes. Je sais de quoi je parle, j’ai une chaise Dutailier à la maison. Et comme plusieurs consommateurs sans aucun doute, je peux vous dire exactement depuis quand. Depuis pas moins de 25 ans, ce qui correspond à l’âge de ma plus vieille.

Nous avions acheté cette chaise à sa naissance avant la crise du verglas. Elle a servi ensuite à bercer son premier frère quelques années plus tard, puis son second après un petit bond dans le temps – les aléas de la vie – en 2012. C’est à la naissance du troisième que nous avions communiqué avec le service à la clientèle pour faire effectuer un petit relooking des coussins, le « frame » étant encore en parfait état. Il suffisait pour cela d’appeler à Saint-Pie et non en Chine.

L’opération avait coûté quelques centaines de dollars, mais l’investissement en avait valu la chandelle. Tant et si bien que cette chaise repose encore fièrement au sous-sol et elle ne demande pas mieux que de bercer maintenant mes deux petites-filles. Cette chaise a vu passer cinq enfants et petits-enfants et elle fait encore la job comme au premier jour.

Pour le plus grand malheur de Dutailier sans doute, puisqu’il ne m’est jamais venu l’idée d’en acheter une autre ni même de la remplacer. Cette chaise est unique et je ne vois pas le jour où je vais m’en débarrasser. Sa valeur sentimentale est trop grande.

Avec la fermeture prochaine de Dutailier, cette chaise et sans doute la vôtre deviennent carrément des pièces de collection. Je n’ai toutefois pas envie de m’en réjouir. Que non.

La disparition de ce fleuron au début du mois de juillet est d’une infinie tristesse et presque irréelle quand on considère tout le chemin parcouru au cours des 46 dernières années.

Partie de rien, l’entreprise a contribué à mettre Saint-Pie sur la mappe en compagnie du Groupe Lacasse. Dans ses belles années à la fin des années 1990, Dutailier était une entreprise de classe mondiale avec son millier d’employés rattachés à ses filiales québécoise, américaine et européenne. Le déclin a commencé vers 2004 et ses tentatives de diversification n’ont pas donné les résultats souhaités.

Ce n’est pas d’hier que l’étoile de Dutailier pâlit et inquiète les fins observateurs de l’industrie du meuble, mais au point de finir comme ça? Son PDG actuel, David Fontaine, fils de Fernand Fontaine, avait surpris un peu tout le monde à la fin mars en confirmant au COURRIER la mise en vente de l’entreprise. Il disait que sa famille voulait passer le flambeau, de guerre lasse. Il se disait confiant de trouver un acheteur et affirmait que le bateau n’était pas en train de couler. « Nous ne sommes pas là [à envisager la fermeture de l’entreprise]. Il n’y a pas d’urgence ni péril en la demeure. »

À peine six semaines après avoir prononcé ces paroles, le bateau touche le fond. C’est brutal. Sans appel.

Le contexte économique actuel, la concurrence internationale et le désistement d’un acheteur de la dernière chance ont précipité sa chute. Pas moins de 105 employés vont en faire les frais. C’est bien triste tout cela.

« C’est la fin d’une belle histoire pour notre famille et ce n’est définitivement pas la conclusion que l’on avait prévue », a mentionné David Fontaine.

Difficile de ne pas avoir une bonne pensée pour son père dans ce contexte, lui qui aura d’ailleurs soutenu financièrement l’entreprise qu’il a fait prospérer jusqu’à la toute fin. Il mérite tout notre respect pour ce qu’il a accompli.

Mais les belles histoires n’ont pas toutes des fins heureuses, n’est-ce pas?

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