31 octobre 2019 - 13:43
Volte-face du gouvernement Legault
Comment renier un engagement formel à changer notre mode de scrutin une fois au pouvoir
Par: Le Courrier
Ainsi, un engagement formel et signé est révocable. C’est ce que nous enseigne le gouvernement caquiste, au premier chef notre premier ministre, François Legault.

Fin septembre 2019, le gouvernement Legault clame qu’il respecte sa « promesse », en déposant le projet de loi 39 qui vise en fait à consulter la population québécoise par l’entremise d’un référendum, à tenir en 2022, sur la possibilité de changer notre mode de scrutin et le transformer en système proportionnel mixte compensatoire. Or, la démarche actuelle du parti au pouvoir ne tient pas l’épreuve des faits lorsqu’on regarde dans le rétroviseur. Par rapport à son discours et à son engagement à l’époque où il était chef de l’opposition et aussi durant la campagne électorale de 2018, M. Legault diverge.

Il y a moins de dix-huit mois, M. Legault signait, flanqué des chefs et porte-paroles des autres politiques dans l’opposition, un engagement on ne peut plus limpide : « que les députés de l’Assemblée nationale soient élus, à partir de la 43e législature, [soit celle de 2022], selon un mode de scrutin semblable à celui étudié et avalisé par le Directeur général des élections du Québec (DGEQ) dans son avis de décembre 2007 ».

En clair, cet engagement de François Legault, partagé par Manon Massé de Québec solidaire, Jean-François Lisée du Parti québécois et Alex Tyrrell du Parti vert du Québec, sonnait le glas du mode de scrutin majoritaire uninominal à un tour qui est le nôtre. Les élections provinciales de 2018 devaient être les dernières où les bulletins de vote allaient être compilés selon notre mode de scrutin archaïque, générateur de distorsions électorales. Il s’agissait d’un rare consensus au sein de notre classe politique – excluant le Parti libéral – qui s’élevait au-dessus de la partisanerie habituelle.

Pour ceux et celles qui défendraient bec et ongles notre mode de scrutin actuel, hérité du système britannique, rappelons brièvement deux faits : il est tout à fait possible d’obtenir environ 40 % du vote populaire et en même temps être à la tête d’un gouvernement majoritaire à l’Assemblée nationale ou à la Chambre des communes, en raflant beaucoup plus que l’équivalent de 4 sièges sur 10. D’ailleurs, ce type de résultats électoraux s’est matérialisé plus d’une fois aux paliers provincial et fédéral. Disons-le franchement : du bulletin de vote déposé dans l’urne jusqu’au nombre de sièges obtenu par un parti politique, notre mode de scrutin est loin d’être le plus juste et le plus représentatif parmi les manières de voter expérimentées par les États démocratiques.

Notre histoire politique provinciale récente nous montre aussi que nous ne sommes pas à l’abri de vice de démocratie tout court; en 1998, le Parti québécois prend le pouvoir et rafle 76 sièges sur les 125 à l’Assemblée nationale et forme ainsi un gouvernement majoritaire. 42,87 % des électeurs avaient voté pour le PQ à l’époque. L’écueil majeur réside dans le fait que ce sont les libéraux qui avaient pourtant remporté la faveur populaire aux urnes : 43,55 % du vote, mais un maigre 48 sièges! Qui donc voudrait conserver un système qui peut provoquer de tels écarts?

Politiquement, les plus cyniques pourraient arguer que le gouvernement caquiste s’inscrit dans une longue lignée de politiciens, provinciaux comme fédéraux qui, main sur le cœur lorsqu’ils sont dans l’opposition, promettent de réformer notre manière de voter, mais qui, une fois portés au pouvoir grâce à ce mode de scrutin, changent leur fusil d’épaule ou relèguent aux calendes grecques une réforme attendue.

C’est d’ailleurs l’air de la chanson que nous avons entendu de la bouche de Sonia LeBel, ministre de la Justice et chargée du dossier de la réforme du mode de scrutin, qui a invoqué complications et difficultés dans le calendrier à respecter et dans le pilotage de la réforme elle-même. Revenir sur sa parole, renier sa signature et promettre le référendum pour consulter la population est un habile moyen de noyer le poisson d’une représentation plus équitable et fidèle du choix de la population dans l’urne.

En effet, dans les trois provinces canadiennes qui ont tenu des démarches similaires de réforme de mode de scrutin via une question référendaire, le statu quo a triomphé. C’est bel et bien du pouvoir exécutif que doivent venir l’impulsion et la volonté politiques d’implanter cette réforme. M. Legault le sait. Sinon, le Québec risque fort de suivre la voie de la Colombie-Britannique, de l’Ontario et de l’Île-du-Prince-Édouard dans la liste du cimetière des réformes du mode de scrutin.

J’interpelle Chantal Soucy, députée de la circonscription de Saint-Hyacinthe et d’ailleurs membre de la sous-commission de la réforme parlementaire, en lui demandant d’entendre de larges pans de la société civile, notamment le Mouvement Démocratie Nouvelle, la toute nouvelle Coalition pour une réforme électorale maintenant! qui regroupe 45 organisations issues de tous les secteurs et tant d’autres voix au Québec qui réclament de longue date cette réforme.

Je termine en citant le chef de Mme Soucy : « le mode de scrutin proportionnel mixte aide à ce qu’on travaille davantage ensemble, pour qu’il n’y ait pas un gouvernement élu par une minorité qui prenne des décisions pour une majorité ». C’était clair et limpide. Disons que, sur ce dossier, les bottines n’ont pas suivi les babines.

Marijo Demers, Saint-Hyacinthe

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