29 décembre 2022 - 07:00
COP15 ou le syndrome Starbuck
Par: Le Courrier
La conférence COP15 sur la biodiversité vient de se terminer à Montréal. La réduction de la variété du patrimoine génétique est un des enjeux importants de la perte de biodiversité. Pour illustrer par l’absurde un exemple de la perte de gènes, quoi de mieux que de rappeler le film Starbuck sorti en salles en 2011.

Le protagoniste, joué par Patrick Huard, est un généreux donateur à une banque de sperme. Comme le souligne la bande-annonce, il apprend avec stupeur qu’il est le géniteur de 533 enfants. Est-il sage, que dis-je, est-il moralement acceptable d’utiliser une technologie sans se soucier de ses conséquences à long terme? Autant en matière d’évolution du vivant que d’utilisation des énergies fossiles, ces questions sont au cœur de notre bien-être et de notre avenir comme espèce sur la planète.

Certes, le titre du film Starbuck prend toute sa signification par son allusion au taureau Starbuck, l’étoile du Centre d’insémination artificielle du Québec (CIAQ) situé à Saint-Hyacinthe. En quelques décennies, la semence de ce taureau a permis d’améliorer grandement la production des troupeaux laitiers de la province et même d’ailleurs. En concentrant certains traits génétiques « désirables » dans la descendance, d’autres traits ont été minimisés, voire éliminés. À court terme, c’était payant pour les producteurs, tandis que les consommateurs ont pu avoir accès à des produits laitiers en quantité et à des prix très intéressants. Malheureusement pour elle, la race patrimoniale « canadienne » produisait moins de lait, ce qui a amené sa disparition de nos troupeaux commerciaux. Cependant, depuis quatre siècles, la « vache canadienne » avait acquis la capacité de s’adapter aux conditions environnementales hostiles de notre climat.

Aujourd’hui, quatre vaches sur cinq ont l’ADN de Starbuck dans leur bagage génétique. Qu’arriverait-il si les 200 000 vaches laitières, filles de ce magnifique taureau, devaient être fragilisées en présence d’une nouvelle maladie? Faisons une comparaison avec le frêne; nous en avons planté des milliers parce que c’étaient des arbres solides et résistants à la pollution et bien adaptés aux conditions de l’époque.

Mais l’arrivée d’une espèce invasive, l’agrile du frêne, a tué un tiers des arbres de la canopée urbaine de Montréal, et ce, au moment où nous en avons le plus besoin pour faire face aux îlots de chaleur. Si nous avions planté seulement 10 % de frênes parmi une large palette d’espèces, l’impact de l’agrile sur les arbres dans nos rues aurait été moindre. La multiplicité des variétés permet de passer à travers ce genre de crises.

La vaste majorité des espèces de fruits et de légumes consommées au début du 20e siècle ont disparu, pour être remplacées par des variétés plus modernes. Mes parents parlaient du « blé d’Inde canadien » et de la pomme Fameuse; ces variétés, tout comme le melon de Montréal, sont inconnues des horticulteurs actuels. Les producteurs de semences tels Monsanto, Pioneer et autres mettent beaucoup d’énergie pour produire des semences qui sont des organismes génétiquement modifiés (OGM), mais qui remplacent les anciennes variétés adaptées depuis des générations aux conditions locales. De plus, ils insistent pour vendre des semences Roundup Ready traitées aux « néonics », tueurs d’abeilles. Le déclin alarmant des populations de ces pollinisateurs met également notre sécurité alimentaire en péril. Le réservoir génétique caché à l’intérieur de nos semences garantit notre potentiel alimentaire pour faire face aux défis des changements climatiques.

La biodiversité, c’est également les espèces sauvages, menacées de disparition. Au Québec, on peut penser au caribou forestier, au chevalier cuivré et à la rainette faux-grillon. Certains s’offusquent que l’on fasse tant de cas pour quelques spécimens qui habitent souvent des milieux humides, qualifiés dédaigneusement de « swamps ». L’habitat nécessaire à chacune de ces espèces est convoité par de puissants intérêts financiers. Le caribou par l’industrie forestière, le chevalier cuivré par le projet d’agrandissement du port de Montréal à Contrecœur et la rainette faux-grillon par des développements immobiliers à Longueuil. Comment arbitrerons-nous ces choix difficiles de façon juste et démocratique en pensant aux générations à venir?

La biodiversité est l’antidote pour éviter la 6e grande extinction des espèces, dont la nôtre. Le taureau Starbuck a permis d’augmenter la production laitière en concentrant une seule sorte de gène dans sa progéniture. C’est un exemple, parmi tant d’autres, où la perte des autres gènes nous handicaperait dans nos efforts pour faire face aux défis des changements climatiques et à de possibles pandémies. L’humanité doit penser à long terme même si des intérêts financiers à court terme sont perturbés. La perte de biodiversité et la consommation effrénée d’énergies fossiles provoquent les changements climatiques et des crises comme la COVID-19. Voilà ce qui fait de nous une « arme d’extinction massive », comme l’affirmait Antonio Guterres dans son discours d’ouverture à la COP15 de Montréal.

Gérard Montpetit, membre du Comité des citoyens et citoyennes pour la protection de l’environnement maskoutain (CCCPEM)

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