30 janvier 2014 - 00:00
Cruel janvier
Par: Martin Bourassa

« On ne pouvait pas approcher tellement le feu était intense. On nous gardait à bonne distance, mais on pouvait voir les flammes et la fumée. Ça flambait de partout. On pouvait surtout entendre des cris… »

Détrompez-vous, ce n’est pas le récit de la terrible tragédie de L’Isle-Verte. Mais c’est tout comme. Cette parcelle de témoignage m’a été livrée l’an dernier presque à pareille date par l’abbé Roméo Robert, l’une des victimes collatérales de l’incendie du Collège Sacré-Coeur de Saint-Hyacinthe dont on a souligné le 75 e anniversaire l’an dernier. En recueillant les propos de l’abbé Robert et de quelques autres témoins directs et indirects de l’incendie du collège, j’avais été replongé et transporté par la force des choses dans l’un des pires drames du Québec moderne. Le bilan maskoutain avait été de 46 victimes et 20 blessés. Celui de L’Isle-Verte sera de 32 morts.L’an dernier, lorsque j’ai signé le long reportage sur le collège Sacré-Coeur, jamais je n’aurais pu penser que nous pourrions revivre ces années-ci, à quelques petits détails près, semblable tragédie. En 1938, passe encore, mais en janvier 2014?Et pourtant le pire est arrivé à L’Isle-Verte. Le lourd bilan, comme celui de Lac-Mégantic l’été dernier, a replongé le Québec dans un état de deuil collectif et de questionnements. Des questions auxquelles il faudra bien répondre.Une enquête publique s’impose vu l’ampleur des questions et des doutes.Il faut remettre en question les mesures de sécurité dans les résidences pour personnes âgées, les règles de construction, l’usage des gicleurs, la formation du personnel, des pompiers volontaires, des secouristes, etc. Il faut une enquête publique, puis des recommandations. Et ensuite des actions concrètes et forcément financières, ce qui malheureusement limitera les interventions et les changements.On resserrera quelques règles à droite et à gauche, on dictera quelques directives, on dira qu’on n’a pas l’argent nécessaire pour faire davantage et on portera le regard ailleurs, loin des conditions de vie que l’on impose à nos aînés.Puis lentement, mais sûrement, on soulignera le premier anniversaire du drame, le second, le troisième et ainsi de suite. Et quelque part dans 75 ans, un autre journaliste que moi ira à la rencontre des survivants pour entendre leur témoignage.Des gens qui à l’image de M. Robert raconteront la douleur vive de janvier et n’auront rien oublié de L’Isle-Verte malgré le poids des années. « J’y pense chaque année quand le mois de janvier arrive. Je pense à tous ceux qui ont perdu la vie et à tous ceux qui ont perdu un proche cette nuit-là, aux familles. On ne peut pas oublier ça. (…) Il faisait un froid intense et mon père et moi avons vite réalisé que nous ne pouvions rien y faire. Ces images-là, je ne les ai jamais oubliées. Même avec l’âge », me disait l’abbé Robert en ressassant ses douloureux souvenirs du 18 janvier 1938.L’ironie du sort a voulu qu’il décède exactement 76 ans et un jour plus tard. M. Robert s’est éteint au Séminaire de Saint-Hyacinthe le 19 janvier à l’âge de 92 ans.Il n’a donc rien vu et rien entendu du drame de L’Isle-Verte. Et c’est tant mieux.Pas sûr qu’il aurait pu supporter à nouveau ces terribles images et toute cette douleur humaine.

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