15 octobre 2020 - 13:52
Gestion des eaux usées
Des déversements en quantité à Saint-Hyacinthe
Par: Rémi Léonard
Plus d’un millier de surverses se sont produites dans la Yamaska en 2019, principalement lors d’averses  qui font que le réseau d’égout ne peut suffire à traiter l’ensemble du volume d’eau. Photo Robert Gosselin | Le Courrier ©

Plus d’un millier de surverses se sont produites dans la Yamaska en 2019, principalement lors d’averses qui font que le réseau d’égout ne peut suffire à traiter l’ensemble du volume d’eau. Photo Robert Gosselin | Le Courrier ©

Saint-Hyacinthe occupe une place peu enviable dans une récente compilation des données disponibles sur les déversements d’eaux usées au Québec réalisée par la Fondation Rivières. Sur les centaines de municipalités recensées, elle arrive en effet au 11e rang des pires indicateurs de l’intensité des déversements pour l’année 2019. Avec Longueuil, qui arrive en 9e place, il s’agit par ailleurs des seules villes de taille importante à se retrouver en aussi mauvaise posture, sachant que l’indicateur utilisé prend en compte la population de chaque municipalité pour établir le classement.

On apprend donc qu’il s’est produit 1025 épisodes de déversements l’année dernière sur le territoire de Saint-Hyacinthe, pour une durée totale de 5700 heures, l’équivalent de 237 jours. Les quantités en cause ne sont pas connues, mais la Fondation Rivières s’est basée sur la taille des ouvrages de surverses concernés pour établir l’intensité des déversements. Le calcul équivaut donc au volume d’eaux usées « potentiellement » rejetées dans le cours d’eau, a expliqué au COURRIER André Bélanger, le directeur général de cette fondation. Il a tout de même confiance en la fiabilité de cet indicateur puisqu’il rejoint les observations déjà effectuées par son organisme sur une cinquantaine de systèmes d’assainissement dans différentes municipalités québécoises.

Une carte des déversements

Toutes ces informations sont présentées sous la forme d’une carte interactive pour permettre aux citoyens de constater l’ampleur des rejets d’eaux usées effectués près de chez eux. Il s’agit des données transmises au ministère de l’Environnement par chacune des municipalités, qui sont tenues de faire un rapport annuel de leurs déversements. Même si elles sont publiques, il a fallu traiter les données brutes afin de pouvoir les présenter de manière claire et concise pour la population, un travail qui a été réalisé en collaboration avec l’École des médias de l’UQAM et le professeur Jean-Hugues Roy.

C’est en effet par principe de transparence que toute cette démarche a été menée, a soutenu André Bélanger. Même si des déversements d’eaux usées ont été amplement médiatisés ces dernières années, il s’agissait en général de cas spécifiques, le meilleur exemple à cet égard étant le flushgate de Montréal en 2015. « Or, des déversements d’eaux usées, il y en a partout et à tous les jours », une réalité dont les citoyens ne sont pas nécessairement conscients, a souligné M. Bélanger.

La même tendance s’est exercée à Saint-Hyacinthe, où le déversement ayant engendré la mort de milliers de poissons à l’été 2016 a beaucoup fait réagir. Ce n’est toutefois que lorsque des effets néfastes immédiats se font sentir dans la rivière que les déversements retiennent l’attention, y compris dans les pages du COURRIER, et toujours grâce à des signalements citoyens. Toutes les données rendues disponibles récemment par la Fondation Rivières sont accessibles à cette adresse : deversements.fondationrivieres.org/map.php.

Le problème?

Ces données viennent donc mettre en lumière que les déversements « ordinaires » sont extrêmement fréquents. Ces surverses se produisent le plus souvent lorsque les précipitations sont trop importantes pour être traitées en entier par le réseau. Plus d’une quarantaine d’ouvrages de surverses répartis sur le territoire servent alors à évacuer le trop-plein directement à la rivière.

Pour la Ville de Saint-Hyacinthe, c’est l’âge de son réseau d’égouts qui explique en grande partie l’ampleur des déversements. Compte tenu de notre histoire, « on ne peut pas se comparer à des villes comme Sainte-Julie » ou d’autres qui se sont développées plus récemment, a réagi le directeur général de la Municipalité, Louis Bilodeau. Il rappelle que Saint-Hyacinthe compte encore 101 kilomètres de conduites unitaires, où se retrouvent à la fois les eaux pluviales et sanitaires.

L’année 2019 a toutefois été marquée par une hausse importante du nombre de surverses, qui sont passées de plus ou moins 700 par année à 1025. La directrice du service des communications de la Ville de Saint-Hyacinthe, Brigitte Massé, a expliqué que cette progression résultait en fait d’un changement dans la façon de comptabiliser les déversements. La détection d’une surverse est dorénavant effectuée par des compteurs électroniques plutôt qu’un employé qui passe pour vérifier en personne, d’où une lecture plus fine, a-t-elle expliqué. Bref, les déversements ne sont pas nécessairement plus fréquents, mais mieux détectés.

Ce qui est particulièrement inquiétant pour la Yamaska, c’est que la taille du milieu récepteur n’est pas prise en compte dans l’indicateur de l’intensité des déversements utilisé par la Fondation Rivières. Or, on l’a vu lors des déversements de 2016 et de 2019, la Yamaska est particulièrement fragile en raison de son faible débit, situation qui devient encore plus critique en période d’étiage. En toute logique, le même déversement à Longueuil (qui se retrouve dans le fleuve) n’aura pas le même impact que dans la Yamaska.

De plus, l’effet cumulatif des déversements municipaux (et des autres sources de pollution) se fait sentir dans la Yamaska plus on progresse en aval, Saint-Hyacinthe n’étant évidemment pas la seule source de rejets. On retrouve d’ailleurs Saint-Damase en 14e place au même palmarès de l’intensité des déversements, soit une performance similaire à celle de Saint-Hyacinthe, toute proportion gardée en matière de population.

Quelles solutions?

Pour s’attaquer au problème, le principal outil qui guide les actions de la Ville de Saint-Hyacinthe est son plan de gestion des débordements. Le directeur général a ainsi donné comme exemple les travaux réalisés cet été sur la rue Delorme et le boulevard Laframboise, qui visaient notamment à séparer les conduites fluviales et sanitaires. À coup de plusieurs millions de dollars par intervention, il faut tout de même envisager que le travail sera étalé sur des décennies, a-t-il convenu. M. Bilodeau a proposé que les prochaines interventions prévues au plan de gestion des débordements soient présentées aux médias après le dépôt du prochain programme triennal d’immobilisations (PTI), début décembre.

À la Fondation Rivières, on souligne cependant que la « réduction à la source » est une manière d’agir plus rapidement et plus efficacement pour réduire les déversements, notamment à travers la gestion des eaux fluviales, dont la rétention pourrait être augmentée, a indiqué André Bélanger. L’exemple du pavé perméable représente une solution à ce niveau, a-t-il donné en exemple.

C’était aussi la réflexion que partageait cet été le directeur général de l’Organisme de bassin versant (OBV) de la Yamaska, Alex Martin, qui était appelé à commenter un nouvel épisode de rejets dans la rivière. Il soulignait lui aussi que les surverses sont une réalité courante dans nos systèmes municipaux de traitement des eaux. Puisque le remplacement des conduites unitaires prendra des années, il appelait plutôt à une large réflexion sur la gestion des eaux usées par les municipalités pour identifier et mettre en place « des solutions innovantes et des nouvelles méthodes » afin d’atténuer le problème à court terme.

Une démarche en ce sens est d’ailleurs en cours tout près d’ici, du côté du bassin versant de la rivière Richelieu, a souligné André Bélanger. La Fondation Rivières y a notamment évalué la performance des différents ouvrages d’assainissement municipaux, un commencement nécessaire pour établir les priorités d’intervention.

Et la mise aux normes?

Impossible de passer sous silence les travaux majeurs qui sont à nos portes du côté de l’usine d’épuration de la Ville de Saint-Hyacinthe, chiffrés à 33,8 M$. LE COURRIER a donc voulu savoir si un tel investissement pourrait permettre à la Ville de réduire ses déversements.

En prenant connaissance du projet, le président de la Fondation Rivières, Alain Saladzius, qui est par ailleurs ingénieur spécialisé en traitement des eaux, a toutefois été surpris de constater la nature des travaux, particulièrement la portion qui implique l’augmentation de la capacité de l’usine pour répondre aux besoins futurs. Les documents de l’appel d’offres indiquent en effet qu’une augmentation de 55 % de la capacité est prévue, et ce, même si le débit maximal actuel n’est pas atteint, a fait remarquer M. Saladzius. Le seul élément correspondant à une mise aux normes, selon l’ingénieur, consiste en l’ajout de la désinfection des eaux par rayonnement ultraviolet, ce qui ne représente que 10 % du projet. Le reste vise plutôt le remplacement d’équipements en fin de vie utile, ce qui équivaut à des travaux de réfection plutôt que de mises aux normes, selon lui.

M. Saladzius se questionne donc sur la pertinence d’investir autant d’argent (une subvention de 25,2 M$ a déjà été octroyée) sur un tel projet, arguant qu’il aurait pu aller « à d’autres endroits qui occasionnent une pollution récurrente ». Pour la Fondation Rivières, « les budgets disponibles devraient être attribués aux réelles priorités », a-t-il affirmé.

Reconnaissant l’augmentation prévue de la capacité de l’usine d’épuration, le directeur général de la Ville a justifié que les besoins de la Municipalité s’approchent de la capacité de traitement prévue à l’origine, alors que Saint-Hyacinthe continue de se développer. Il a aussi affirmé qu’en disposant d’une plus grande marge de manœuvre par rapport au volume pouvant être traité à l’usine d’épuration, les déversements pourraient être réduits une fois le projet complété.

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