10 juin 2021 - 07:00
Disparaître?
Par: Le Courrier
Dans une lettre publiée le 13 mai dans les pages du Courrier, Samira Ait Kaci Ali, une jeune étudiante en journalisme, réagissait à une déclaration récente du premier ministre François Legault relatif à l’immigration. Puisque le texte ne citait pas la phrase litigieuse en question et ne la remettait pas dans son contexte, il est bon de rappeler que le premier ministre intervenait dans le cadre d’une assemblée générale du Conseil du patronat du Québec. Évoquant le lien entre l’immigration et les salaires des travailleurs, M. Legault a affirmé ceci : « À chaque fois que je rentre un immigrant qui gagne moins de 56 000 [dollars], j’empire mon problème. À chaque fois que je rentre un immigrant qui gagne plus de 56 000, j’améliore ma situation. »

On pourrait passer beaucoup de temps à savoir si la formule était maladroite ou non, mais chose certaine, elle ne témoignait en rien d’une xénophobie à l’égard des nouveaux arrivants, comme le laisse croire Mme Ait Kaci Ali en ses termes : « Je ne suis ni un chiffre ni un accommodement raisonnable. Je ne suis pas une menace à l’identité québécoise et surtout, Monsieur le Premier Ministre, je ne suis pas votre problème! »

Cette réaction épidermique et centrée sur l’expérience personnelle n’avait pas grand-chose de pertinent à ajouter au débat crucial de l’immigration massive que subit présentement la nation québécoise. Pire : elle nous fait passer à côté de l’essentiel. Penser l’immigration dans un paradigme autre que celui de l’éloge sans fin du nouvel arrivant est non seulement possible, mais nécessaire. L’erreur du premier ministre consiste moins dans sa manière de parler de l’immigration que de ne pas l’évoquer en faisant front à la question démographique.

Depuis plusieurs années, des travaux et des ouvrages divers sont publiés pour faire état des mutations démographiques en cours sur le sol québécois. C’est en 2019 que Jacques Houle, un ancien conseiller et cadre de longue date à Emploi et Immigration Canada, publia le livre Disparaître? Afflux migratoire et avenir du Québec. Dans celui-ci, l’auteur revenait sur des chiffres émis par Statistique Canada relatifs aux dernières données du recensement de 2016. Selon ses projections, le Québec devrait passer de 79 % de francophones en 2011 à seulement 69 % d’ici 2036. Jacques Houle affirmait ainsi en entrevue : « Pour la majorité historique de langue française, dont la proportion au sein de la population québécoise était demeurée stable à 82 % tout au long du XXe siècle, la hausse de 65 % des seuils annuels d’immigration, au début du XXIe siècle, a eu un impact démographique dévastateur. »

Autrement dit, c’est l’augmentation astronomique de l’immigration à 50 000 personnes par année, initiée par les libéraux de Jean Charest et de Philippe Couillard, sous la pression des visées du régime canadien, qui est à l’origine de la régression substantielle du français au Québec. Rappelons qu’en termes de proportion, le Québec accueille jusqu’à deux fois plus d’immigrants que les États-Unis et 2,5 fois plus que la France, deux pays qui sont déjà très ouverts à l’immigration.

Le constat est simple : nos seuils d’immigration dépassent complètement nos capacités d’intégration, d’autant plus que la bonne majorité des nouveaux arrivants s’installe dans le Grand Montréal, contribuant ainsi, par la force du nombre, à la ghettoïsation des groupes culturels au lieu de favoriser l’intégration à la société d’accueil.

L’argument selon lequel le problème toucherait moins au nombre d’immigrants qu’aux investissements que nous mettons dans la francisation ne tient pas la route. Les constats sont clairs : la francisation des nouveaux arrivants est un échec complet, et y mettre plus d’argent n’y changerait rien. Un immigrant peut facilement mener sa vie au Québec sans parler français, s’il vit dans le Grand Montréal, où la dynamique d’anglicisation touche à la fois l’île de Montréal, Laval et même Longueuil.

La loi 101 n’étant toujours pas appliquée au cégep, les étudiants allophones s’inscrivent massivement au cégep anglais, un facteur très important de l’anglicisation des nouvelles générations. En ce sens, le nouveau projet de loi 96 du gouvernement Legault ne change en rien les bouleversements démographiques que connaît le Québec français et qui mettent en péril son existence dans un proche avenir.

Les affairistes du Conseil du patronat qui poussent des cris d’orfraie pour le « problème des salaires » du premier ministre n’ont jamais eu un instant le souci de l’avenir national. Le mythe qu’ils propagent depuis plusieurs années sur la prétendue « pénurie de main-d’œuvre » pour justifier la hausse faramineuse des seuils d’immigration est faux de A à Z, comme l’a déjà démontré avec brio le démographe Guillaume Marois.

Il est donc tout aussi faux de dire que nous faisons face à un dilemme cornélien entre notre souci de la pérennité de notre culture et notre avenir économique, comme l’affirmait encore récemment le politologue Loïc Tassé. Plus que jamais, nous devons réduire substantiellement nos seuils d’immigration pour freiner et renverser la dynamique d’assimilation dans laquelle le Québec est entré.

Si les témoignages d’une intégration réussie sont admirables, ils ne doivent pas cacher la forêt du drame en cours. Ce sont les tendances lourdes qui font l’histoire, et elles jouent présentement contre nous. Nous devons impérativement agir pour éviter, un jour, de voir se réaliser notre disparition pure et simple.

Philippe Lorange, Saint-Hyacinthe

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