D’entrée de jeu, il importe de préciser que nos démarches pour discuter du quotidien du personnel infirmier de l’Hôtel-Dieu de Saint-Hyacinthe n’ont pas été effectuées par l’entremise du canal de communication officiel. Nous avons plutôt mis à profit notre réseau de contacts, ce qui nous a mis sur la piste de M. Benoit. Ce dernier a accepté de nous accorder une entrevue à visière levée, sans recourir à l’anonymat, en précisant toutefois que ses commentaires et impressions seraient formulés sur une base strictement personnelle et n’engageaient que lui. Cette mise au point étant faite, c’est un infirmier volubile et réfléchi qui a répondu à toutes nos questions.
D’abord sur son état de santé et d’esprit, il s’est dit en bonne forme et positif.
« Les choses se passent bien à l’interne, mais les émotions sont lourdes, la charge émotive liée au travail est plus vive qu’à l’habitude. J’ai des collègues plus inquiets que d’autres à l’égard des conditions de travail actuelles. Les consignes évoluent rapidement et l’information ne redescend pas toujours aussi vite qu’on le voudrait sur le terrain, ce qui est source d’inquiétude. On navigue dans l’inconnu. »
Ce qui fait que l’ambiance de travail s’en ressent un peu et M. Benoit ne s’en cache pas. « L’ambiance est assez lourde. La pandémie ajoute un stress qui n’était pas nécessaire, mais nous ne manquons pas de bras. Il y a même beaucoup de personnel sur les étages compte tenu des activités réduites. Mais l’épuisement émotionnel davantage que physique va venir, beaucoup de collègues envisagent de délaisser la profession. »
Et comment se déroule le quotidien des quelque 400 résidents depuis que les visites ont été interdites le 14 mars dans tous les CHSLD du Québec?
« Selon la gravité de soins, certains demandent plus d’attention, mais il n’y a rien d’alarmant. Il n’y a aucun débordement émotif. Le défi est de garder tout ce beau monde isolé les uns des autres, alors on resserre la vis progressivement. Ce n’est pas tout le monde qui est apte à comprendre la portée de ses gestes. »
Des soins encore plus humains
Chaque jour, Marc-Olivier dit être témoin de gestes et de petites attentions envers les résidents qui le touchent tout particulièrement. Chacun en fait plus que nécessaire pour essayer de compenser l’absence des bénévoles et des familles auprès des résidents, pour adoucir autant que possible les effets de ce quotidien chamboulé.
« On essaie de prendre le temps de parler davantage avec les résidents, d’organiser des discussions ou des rencontres virtuelles. Je prêtais déjà mon cellulaire souvent, mais maintenant je le fais pratiquement tous les jours. J’ai vu des préposés peigner des résidents, les occuper, les divertir, leur faire la lecture. Tout le monde semble y mettre plus de cœur qu’avant. On se dit qu’il faut traiter les résidents comme on voudrait que soient traités nos propres parents dans pareille situation », d’ajouter l’infirmier clinicien.
Il a aussi profité de l’occasion pour lancer un message aux proches inquiets de cette séparation qui s’étire et dont on n’entrevoit pas encore la fin. « Dites aux familles à l’extérieur de ne pas trop s’inquiéter. Elles peuvent être rassurées. Oui, nous sommes des professionnels en soins, mais souvenez-vous que nous sommes d’abord des humains. Nous traitons tous vos parents avec compassion et sollicitude malgré les circonstances. Et tous mes collègues et tous les résidents seront d’accord avec moi, on a tous hâte que les proches aidants reviennent à l’Hôtel-Dieu. Ils sont attendus! » a conclu M. Benoit avant de profiter d’un petit congé bien mérité.