En Europe, aux États-Unis et maintenant au Québec, des voix s’élèvent depuis quelque temps pour s’interroger sur le contenu, l’usage agricole et la dangerosité possible du digestat produit grâce à la valorisation des boues d’épuration municipales.
Et comme le digestat maskoutain découle directement de la valorisation des boues d’épuration de la Ville de Saint-Hyacinthe et de déchets organiques industriels, la Ville se retrouve dans la merde jusqu’au cou depuis des reportages de l’émission La Semaine verte et Enquête à Radio-Canada qui ont semé l’émoi dans nos campagnes.
Ces reportages ont entre autres exposé les malheurs qui frappent les producteurs agricoles du Maine où le gouvernement interdit depuis l’automne dernier l’épandage de boues sous toutes ses formes. Des analyses auraient révélé la présence de substances toxiques et tenaces comme les PFAS, dits contaminants éternels, dans des parcelles de terre et même dans du lait. On soupçonne l’épandage de boues contaminées. De là l’idée de regarder de plus près ce qui se passe chez nous où les Américains avaient justement eu l’idée d’y transférer leurs boues.
Ici, on constate et on déplore un cadre réglementaire bien mince et la méconnaissance des autorités québécoises, et même des agronomes, sur l’épandage de boues municipales sur nos terres et la composition du digestat.
Et ce, sans parler des particules de plastique présentes dans le digestat maskoutain en raison des procédés employés à l’usine. Au moment de la visite de La Semaine verte, on broyait les pots de plastique de yogourt périmé sans en vider le contenu. Ces particules fines n’empêchaient toutefois pas ce digestat de satisfaire aux normes imposées par le gouvernement ni les agriculteurs de les utiliser.
Sauf que ces deux reportages mis bout à bout ont provoqué une certaine panique, voire une panique certaine. Des clients qui acceptaient de recevoir et d’épandre le digestat maskoutain ont décidé d’y renoncer, du moins temporairement.
Une décision lourde de conséquences pour la Ville de Saint-Hyacinthe. Construite au coût de 80 M$, dont 27 M$ d’argent provenant des coffres municipaux, son usine était déjà à peine rentable cinq ans après le début de ses opérations.
En plus d’avoir dû renoncer, pour des raisons techniques, à valoriser le contenu des bacs bruns qu’elle envoie maintenant au compost ailleurs au Québec, elle devait aussi payer un intermédiaire, la société Englobe, pour récupérer, transporter et écouler son fameux digestat. La chaîne vient de débarquer solide. Au point où Englobe et la Ville seraient à examiner leurs recours en dommages contre Radio-Canada. J’ai envie de leur souhaiter bonne chance s’ils décident de le faire, car à mon avis, les auteurs de ces reportages sont plus près d’un Prix Judith-Jasmin que d’une condamnation en justice, même si certains éléments auraient mérité d’être approfondis.
Au niveau de leur composition et de leur toxicité par exemple, les boues du Maine sont-elles comparables aux boues maskoutaines, permettez-moi d’en douter. Mais ce ne sont pas de potentielles poursuites qui vont balayer le problème et rassurer les producteurs agricoles. Il faudra des tests, beaucoup de tests. Et des études sérieuses, complètes et surtout indépendantes. Sur les matières que la Ville reçoit de ses clients industriels du secteur agroalimentaire, les intrants, et sur le digestat qui ressort de l’usine. La Ville de Saint-Hyacinthe n’a d’autre choix que de multiplier les démarches pour démontrer que son digestat est relativement propre. Elle est condamnée à en faire plus que le client en demande et à espérer que ce sera suffisant pour renverser la vapeur. Sinon, le tas de digestat du centre de valorisation n’a pas fini de grossir.
Tout comme les critiques de ceux qui se demandent dans quel bourbier s’est enlisée la Ville en décidant de miser sur la biométhanisation, une filière à laquelle elle consacre au final beaucoup plus d’énergie qu’elle en produit. La rentabilité tant recherchée pour 2023 vient de prendre le bord.
En espérant que ce ne soit pas éternel.