15 juin 2023 - 07:00
En souvenir de Mario Coderre, l’historien de Saint-Dominique
Par: Le Courrier
Voilà 40 ans, en 1983, paraissait l’Histoire de Saint-Dominique, une œuvre magistrale de Mario Coderre. Hélas! à peine 10 ans plus tard, le 18 juin 1993, ce jeune auteur de grand talent mourait lors d’un tragique accident de la circulation; deux jours plus tôt, il fêtait ses 29 ans.

Mario Coderre fréquenta comme moi, dans les années 1970, l’école primaire de La Rocade, à Saint-Dominique. Je ne conserve qu’un vague souvenir de lui, car il me précédait de deux années scolaires. Par contre, j’ai été camarade de classe de sa sœur Danielle. Mario était le fils de Rolande Deslandes et de Wilfrid Coderre, cultivateur-maraîcher du « rang des Côtes ». Il fit ses études secondaires au Collège du Sacré-Cœur de Granby, puis au Séminaire de Saint-Hyacinthe, pour ensuite étudier au cégep de la même ville, où il se vit attribuer une bourse d’excellence en sciences humaines. Enfin, il fit de brillantes études de criminologie à l’Université de Montréal. À sa mort, il était un criminologue hautement considéré au sein du Service correctionnel canadien. […]

C’est dans une librairie d’occasion de Québec que j’ai découvert, vers 2005, l’Histoire de Saint-Dominique, que Mario Coderre avait publiée 22 ans plus tôt à l’occasion du 150e anniversaire de son village natal. La lecture de ce volume m’a fait tomber en bas de ma chaise, tellement j’étais sidéré par la qualité et la vivacité de la plume de l’auteur, de même que par l’ampleur des recherches historiques qu’il dut effectuer. Ma stupéfaction n’avait rien d’exagéré, car l’auteur n’avait que 17 ans lorsqu’il se mit à la tâche, et 18 ans lors de l’impression de son livre de 428 pages. Ayant frayé depuis déjà longtemps dans les œuvres littéraires de nos compatriotes d’antan, je n’ai jamais vu un auteur publier à un si jeune âge une œuvre historique d’une telle envergure : son Histoire de Saint-Dominique est l’une des meilleures monographies municipales que j’ai lues et, croyez-moi, j’en ai lu plusieurs et d’auteurs bien plus expérimentés.

Mario Coderre avait donc, de façon étonnamment précoce, un talent aussi rare que prodigieux d’écrivain et de chercheur-historien. Maurice Dupré, alors député de Saint-Hyacinthe à l’Assemblée nationale, n’amplifiait nullement la réalité lorsqu’il écrivit à Mario le 1er novembre 1983 : « Tu as accompli un travail de Titan. » Car lire ce livre permet de constater à quel point cet auteur encore adolescent a effectivement signé une œuvre titanesque.

Dans l’avant-propos à son ouvrage, Mario Coderre expose dans les termes suivants, et non sans un lyrisme aussi émouvant qu’inspirant, les motivations qui l’ont conduit à écrire l’histoire de son patelin : « À l’aube d’un jour nouveau, j’ai entrepris d’écrire ce livre […] dans le souci constant de rendre un fier tribut posthume ou un témoignage de reconnaissance sincère à ceux qui instaurèrent avec d’autant plus nobles sacrifices les bases de cette communauté humaine [et qui] défrichèrent ce coin de pays dans lequel je vis. […] Connaître sa provenance, déterrer la racine nourricière qui nous relie au cœur même de la vie de nos pères, c’est à ce titre que ma main s’est posée en intermédiaire entre l’esprit et le papier pour relater l’histoire de ce monde. L’appel du sang me hantait et me tenaillait les tripes comme les cris du colon acculé à la famine, dans l’attente d’une miche de pain salutaire. »

Le Courrier de Saint-Hyacinthe n’avait pas manqué de souligner le phénomène littéraire que fut la parution du livre de ce si jeune fils de cultivateur dominiquois. Le 21 septembre 1983, l’hebdomadaire maskoutain souligna l’événement avec l’emphase requise, puis récidiva dans l’édition du 26 octobre : « Quelle surprise! Découvrir un auteur si jeune, si cultivé, qui a travaillé sans compter ses heures, ni ses sous, à la rédaction de ce livre. Et tout cela en un temps record : un an, tout en étudiant à temps plein au cégep. Chapeau! Il faut le faire! » Le même article révèle aussi que Mario ne s’enflait pas du tout la tête malgré les concerts de louanges dont il faisait l’objet : « Il a déclaré qu’il n’était pas satisfait de son livre, il aurait voulu plus de temps pour l’écrire, moins de contraintes, plus de liberté quant au contenu et à sa facture! Il semblait très déçu, fatigué, le livre pesait lourd sur ses épaules! Son livre est, malgré ce qu’il en dit, très bien fait, très documenté. »

Mario Coderre conclut l’avant-propos de son Histoire de Saint-Dominique en affirmant : « Mon devoir a été accompli, je n’ai plus qu’à m’estomper. » Mais, alors que nous soulignons le 30e anniversaire de son décès, c’est en toute justice que nous pouvons lui dire : « Cher Mario, loin de nous l’intention de te contredire, mais nous n’avons pas le droit de laisser s’estomper tout ce que tu as si généreusement légué aux gens de ton village natal. Car sans ton œuvre, les hauts faits de l’histoire de Saint-Dominique et l’héroïsme de ses bâtisseurs seraient sans doute encore enfouis dans l’oubli, et ta valeur d’exemple pour tes jeunes compatriotes d’aujourd’hui et de demain est trop importante, trop inspirante aussi, pour qu’on laisse bêtement le temps l’effacer à jamais. »

Saint-Dominique peut à juste titre être fière du fait qu’un auteur aussi prodigieux soit l’un des siens. Sans vouloir rien imposer aux actuelles autorités municipales, il n’est certes pas interdit de penser qu’il serait hautement justifié de faire redécouvrir l’ouvrage historique de Mario Coderre, et même de commémorer sa remarquable contribution d’une manière concrète et durable pour la postérité, peut-être en dédiant la bibliothèque municipale à son nom, ce qui serait sûrement pertinent vu la qualité d’historien local de ce grand Dominiquois trop tôt disparu, ou quelque place publique. Nul doute que les gens de Saint-Dominique y verraient un acte de reconnaissance amplement mérité, et qui serait tout à l’honneur de ceux et celles qui en auraient décidé la réalisation.

Daniel Laprès, encore Dominiquois de cœur

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