21 janvier 2016 - 00:00
La fin des élections scolaires
Est-ce vraiment une réponse aux enjeux réels en éducation?
Par: Le Courrier


Permettez-moi d’en douter, ­Monsieur le Ministre de l’Éducation. Vous voulez abolir la ­démocratie scolaire, sous prétexte que peu de gens s’y intéressent; 5,5 % de la population québécoise a voté aux dernières élections scolaires, ce sont plus de 285 000 personnes qui ont ­choisi leurs représentants. Faisons le ­pari que si nous tenions des élections simultanées avec le municipal, comme dans toutes les autres provinces du Canada, à l’exception de l’Île-du-Prince-Édouard, le problème serait résolu.

Prenons l’exemple des provinces de ­l’Ontario et de la Colombie-Britannique qui ont présenté, à leurs dernières é­lections, un taux de participation ­respectif de 43 % et de 44 %. Le vrai ­problème est plutôt le mode de scrutin et non la démocratie scolaire. ­Pourquoi donc, n’allez-vous pas de l’avant avec cette solution que vous propose la ­Fédération des commissions scolaires du Québec depuis plusieurs années? Vous ­affirmez, Monsieur le Ministre, que c’est le monde municipal qui ne veut pas… Est-ce à dire que celui-ci dicterait l’agenda du ­gouvernement et plus particulièrement du ministre de l’Éducation?

Notre système de gouvernance fonctionne très bien, mais prétextant un désintéressement de la population, vous en proposez l’abolition. Le comité de parents élirait ­désormais les membres du conseil scolaire. Pourtant, à la Commission scolaire de Saint-Hyacinthe, seulement 2 % des parents vont voter pour élire leur représentant. Un portrait semblable à d’autres commissions scolaires, selon mes collègues présidentes et présidents. Voilà qui est bien inférieur à 5 %. Est-ce qu’un gouvernement responsable, pourtant élu par la population, ne ­devrait pas favoriser la participation ­citoyenne à une structure démocratique, plutôt que de l’abolir? Le contraire ­m’apparaît inconcevable. Monsieur le ­Ministre, savez-vous quel est le coût annuel des élections scolaires pour chaque électeur inscrit sur la liste électorale des commissions scolaires? Pas plus de 0,58 $ par contribuable, en se référant aux dernières élections scolaires tenues le 2 novembre 2014.

Vous savez certainement que la vraie ­démocratie scolaire n’est possible qu’avec des élections, comme c’est le cas présentement. Elle permet, d’une part, à tout citoyen de poser sa candidature comme commissaire et, d’autre part, à la population de ­choisir ses représentants à la gouvernance de la commission scolaire. Cette gouvernance efficace autorise une population à remplacer ses commissaires scolaires si leur travail ne répond pas à ses attentes. La racine du mot « démocratie » nous vient du grec qui signifie demos, le peuple. Où est la place du peuple dans votre « démocratie »? Vous ­proposez au peuple de lui retirer le pouvoir de faire un choix. De plus, votre projet de loi réserve exclusivement aux parents d’élèves le choix de décider si l’ensemble des ­électeurs du territoire de la commission ­scolaire pourrait exercer son droit de vote à l’endroit des personnes de la communauté qui siègeront au conseil scolaire. Selon ce que vous avez laissé entendre, à défaut ­d’obtenir l’aval de 15 % des parents d’élèves, un comité de parents élirait aussi cette catégorie de membres du conseil scolaire. Vous savez comme moi, Monsieur le Ministre, que la communauté francophone est nettement désavantagée par cette exigence, et ce, contrairement à la communauté anglophone affichant un taux de participation bien au-delà de 15 % aux élections scolaires. Comment un gouvernement peut-il ­imposer une démocratie facultative sur la base de considérations linguistiques? Est-ce acceptable, dans une société démocratique, qu’une partie des électeurs décide si l’ensemble de leurs concitoyens peut exercer un droit de vote, alors que le conseil scolaire continuera de taxer annuellement l’ensemble des contribuables du territoire de la commission scolaire?

La démocratie scolaire actuelle permet une représentation territoriale assurant une voix aux différentes localités du territoire de la commission scolaire par des commissaires qui y ont élu domicile. Votre projet de loi ouvre la porte à ce que les membres du conseil scolaire n’aient pas l’obligation de résider sur le territoire de la commission scolaire. Or, des localités, voire même des MRC entières pourraient désormais se ­retrouver sans aucun représentant. Je doute sincèrement que cela soit un avantage à l’égard du développement local et régional.

Présentement, un citoyen ou un usager peut s’adresser directement au représentant politique de sa circonscription pour soulever un problème relatif au milieu scolaire, ­tandis que votre modèle ne favorise aucunement une gouvernance de proximité. Le modèle que vous préconisez est un comité d’usagers et vise, entre autres, à accorder ­davantage de place aux parents et à la ­communauté. Vous n’êtes pas sans savoir que la majorité des commissaires actuels sont eux-mêmes des parents d’élèves et qu’aucune objection n’a été formulée au fait d’accorder un droit de vote aux commissaires parents. Je tiens également à vous ­préciser que, parmi les commissaires, la communauté est également présente, puisqu’on y retrouve des personnes provenant du monde municipal, culturel, ­communautaire, des affaires, de l’emploi, de la santé, du sport… Il y a là, il me semble, un objectif déjà atteint dans notre système de gouvernance actuel.

En résumé, votre projet de loi no 86, au chapitre de la gouvernance, n’est qu’un ­brassage de structures qui met en péril des acquis au niveau de la démocratie, de la ­représentation territoriale et du développement local.

Au moment de la préparation de votre ­projet de loi, vous déclariez en août dernier : ce qui importe pour nous, c’est de corriger une erreur historique qui remonte loin dans le temps », vous faisiez allusion alors à la ­façon de désigner les commissaires ­scolaires. Or, les commissaires sont des ­citoyennes et citoyens choisissant de s’engager pour le développement de l’éducation sur leur territoire et la réussite des élèves, et ils sont élus démocratiquement par la ­population.

La véritable erreur historique n’est pas d’avoir instauré la démocratie scolaire un jour, mais serait incontestablement l’abolition de celle-ci.

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