Quand la journaliste Sarah-Eve Charland m’a informé que la Ville de Saint-Hyacinthe comptait s’opposer à une demande d’exemption de taxes foncières municipales formulée par Dessercom, responsable du transport ambulancier dans la région maskoutaine, cela m’a ramené dix ans en arrière. En septembre 2014, j’avais profité d’un éditorial pour dire tout le mal que je pensais d’une demande similaire de Dessercom pour ne plus payer de taxes foncières sur sa propriété de l’avenue Sainte-Marie. Cette démarche me donnait déjà de l’urticaire.
Dix ans plus tard, ça me démange encore. À la place de la Ville de Saint- Hyacinthe je m’opposerais également à ce que Dessercom puisse se prévaloir de ce privilège réservé aux organismes sans but lucratif (OSBL), ce qu’il est pourtant si on s’attarde à sa forme juridique. Par conséquent, il serait entre autres exempté de l’impôt sur le revenu au Canada et au Québec, aurait droit au remboursement de la TPS, de la TVQ et, sur demande et approbation, à l’exemption de taxes foncières.
Malgré l’objection légitime de la Ville, qui prétend que Dessercom offre des services payants sans pour autant faire la charité aux personnes en difficulté, il faut s’attendre à ce que la Commission municipale du Québec reconduise une fois encore cette exemption puisque rien n’a véritablement changé sur le fond du débat depuis dix ans, sinon la taille et le rayonnement de Dessercom.
Pour la petite histoire, c’est d’abord sous forme de fiducie que l’entité a vu le jour en 1968 à l’Hôtel-Dieu de Lévis pour prendre en charge les services du casse-croûte de l’hôpital, avant de se lancer dans les services ambulanciers en 1984 et de prendre le nom de Dessercom en 1988, en tant qu’OSBL.
Cette étape lui servira d’assise pour multiplier les acquisitions, dont celles d’Ambulances B.G.R. à Saint-Hyacinthe en 1996, et fonder un empire. Dessercom se targue d’être devenu « la plus grande entreprise au Canada dans le domaine des services préhospitaliers d’urgence et du transport médical non urgent avec une équipe de 1000 professionnels répartis dans 14 régions du Québec ».
Il bénéficie même depuis 1992 de la reconnaissance d’organisme de bienfaisance, tant et si bien qu’il se présente désormais comme un organisme de bienfaisance spécialisé en soins préhospitaliers d’urgence. Il assimilerait d’ailleurs le salaire de ses ambulanciers à des dépenses reliées à ses programmes de bienfaisance.
Mais cette reconnaissance vient avec une obligation de transparence. Je me suis donc replongé dans ses rapports financiers pour voir le chemin qu’il a parcouru entre ses demandes d’exemption de 2013 et de 2023. Attachez bien votre tuque. Durant cette période, ses revenus sont passés de 35 M$ à 96,6 M$ pour des dépenses qui ont fluctué de 28 M$ à 91,8 M$. Pour 2023, Dessercom a tiré pas moins de 98,5 % de ses revenus du financement gouvernemental.
Et tant qu’à faire rêver ou enrager bien des dirigeants d’OSBL, le salaire de son principal dirigeant est passé en dix ans de la fourchette se situant entre 160 000 $ et 199 999 $ à celle entre 250 000 $ et 299 000 $. En 2013, l’organisme de charité déclarait curieusement n’avoir reçu aucun don de charité. Cela n’a pas changé dix ans plus tard.
Et si, en 2013, Dessercom ne rapportait aucun don à d’autres organismes, dix ans plus tard, les apparences sont meilleures. Il a déclaré l’an dernier 17 dons de charité pour un total de 2,5 M$, dont des dons de 1,2 M$ à la Fondation du CHU de Québec, de 608 592 $ au Centre intégré de santé et de services sociaux de Chaudière- Appalaches et de 200 000 $ à la Maison de soins palliatifs du Littoral à Lévis. Aucune retombée n’est à signaler dans notre région en 2023.
Ainsi, Dessercom se dit fier d’être le seul organisme de bienfaisance dans son milieu et de pouvoir redonner au milieu de la santé. Mais pas question de redonner une infime partie de ses profits au milieu municipal en acquittant des taxes foncières cependant.
Voilà qui n’est pas très charitable.