« Ce qui a été dénoncé, ce n’est que la pointe de l’iceberg », assure la nageuse, qui a cumulé plus de 11 ans d’expérience dans ce sport, dont plusieurs au niveau élite, avant de mettre un terme à sa carrière sportive en 2015, à l’âge de 21 ans.
Voici une mise en contexte. Dans un reportage publié à la fin septembre, Radio-Canada Sports a dévoilé que le centre d’entraînement de l’équipe nationale senior de Natation artistique Canada venait de fermer ses portes le temps qu’une firme externe mène une enquête au sujet d’abus et de harcèlement signalés. Des allégations que la directrice du sport de la fédération, Julie Healy, a qualifiées de « très sérieuses » lors d’une rencontre avec les athlètes, dont le média national a obtenu l’enregistrement.
« L’information émanant des courriels reçus […] indique que l’environnement d’entraînement ne serait pas sécuritaire. Que les athlètes seraient obligés de se taire à propos de harcèlement et d’abus. Et que ça durerait depuis janvier 2019 », avait-elle révélé, après avoir mentionné préalablement qu’il était impossible de continuer à fonctionner « dans un environnement où des athlètes ne se sentent pas en sécurité, où les entraîneurs ne sentent pas qu’ils peuvent travailler sans se faire accuser d’être hostiles, harcelants, abusifs ».
Une culture bien implantée
Au-delà de ces allégations, c’est une culture bien implantée qui affecte le monde de la natation artistique, et ce, depuis bon nombre d’années, estime Geneviève Peel. La jeune femme de 25 ans a même décidé de consacrer un blogue (storiesofartisticswimming.wordpress.com) pour partager les expériences qu’elle a vécues durant ses années à Montréal.
« Voulez-vous savoir ce que la synchro m’a vraiment appris? », pose-t-elle comme question dans l’un de ses textes. Elle y énumère comment la natation artistique l’a amenée à croire qu’elle ne « serai[t] jamais assez » et que « [s]a santé mentale était moins importante que [s]es performances » alors que la pression était toujours plus grande. Elle mentionne aussi avoir « appris à détester [s]on corps au point où [elle] ne pensai[t] plus jamais être capable de [s]e regarder dans un miroir » en raison du culte de la minceur associé à la discipline.
Alors qu’elle figurait parmi l’élite provinciale, la Maskoutaine a tenté par trois reprises d’intégrer l’équipe nationale. Elle est toujours arrivée proche, mais n’a jamais réussi à être sélectionnée. « […] Pas le bon corps, pas assez grande, pas ce qu’il faut », a-t-on fini par lui dire, malgré un talent bien présent et une éthique de travail irréprochable.
Sa physionomie faisait en sorte qu’elle gagnait de la masse musculaire rapidement, ce qui n’est pas bon selon les standards de la natation artistique. Et à 5’5”, elle était loin d’être parmi les plus grandes. Sans lui dire qu’elle était grosse – parce qu’elle ne l’était pas -, on l’a souvent encouragée à perdre du poids. On félicitait aussi autour d’elle les pertes de poids des autres nageuses. Un jeu qui a fait en sorte que l’alimentation est devenue pour elle une obsession, même si elle était suivie par une nutritionniste.
Prise de conscience
Avec le recul, elle a réalisé à quel point c’était malsain. Mais sur le coup, elle était « aveuglée par le rêve olympique et de la haute performance » qu’elle convoitait, raconte-t-elle en entrevue au COURRIER.
« Je n’étais pas consciente de ce que je vivais. Dans ma tête, c’était un mal nécessaire et je devais passer par là pour réussir. Je ne réalisais pas ce que les entraîneurs disaient ou faisaient, que c’était de l’abus verbal. […] Au début, je le défendais même. Je disais que c’était normal, que c’était ça le sport de haut niveau. Mais quand je suis sortie de ce monde-là, c’est là que j’ai pris conscience que ce n’était pas normal. »
La prise de conscience s’est tout de même enclenchée un peu avant lorsqu’on lui a dit que, malgré tous ses efforts, elle ne serait jamais sélectionnée sur l’équipe nationale. Son rêve olympique s’évanouissait du même coup et elle annonçait quelques mois plus tard sa retraite sportive.
« Il y a un grand nombre d’espoirs olympiques qui ont claqué la porte à la natation artistique parce qu’elles détestaient ça [comme environnement]. On perd de bonnes athlètes en fonctionnant de cette manière », croit-elle.
De l’espoir?
Même si quelques années se sont écoulées depuis sa retraite sportive, il était important pour Geneviève Peel de prendre la parole. Elle avait commencé à écrire son blogue il y a environ un an, puis la situation actuelle l’a amenée à finalement le publier.
Le fait que les allégations de harcèlement et d’abus soient enfin sorties au grand jour est un pas dans la bonne direction, selon la nageuse. « Je n’aurais jamais eu espoir que ça sorte de cette manière. C’est formidable que ça sorte en ce moment. »
Selon elle, il faudra toutefois qu’un grand ménage soit réalisé pour qu’un changement de culture s’opère.
« C’est vraiment une culture qui est ancrée depuis très longtemps et ça va au-delà de la natation artistique canadienne. C’est une culture qui est présente à l’international », souligne-t-elle.
« Est-ce qu’on est prêts à sacrifier la santé d’autres jeunes filles? Je pense que non. La fédération [canadienne] devrait se montrer comme un leader pour changer cette culture. »
A-t-elle espoir qu’un réel changement surviendra? « Oui, j’ai de l’espoir. Il est mince et conditionnel à ce qu’il y ait un grand ménage, mais il y a de l’espoir. »
Les bons souvenirs des vestales
C’est avec les Vestales, le club de natation artistique de Saint-Hyacinthe, que Geneviève Peel a pris goût à la discipline. Elle est restée avec le club pendant six ans, dont trois passées dans le réseau élite. C’était pour elle une seconde famille.
« Je suis sincère quand je dis que ce sont les plus belles années de ma vie », lance la Maskoutaine au bout du fil.
Comme l’équipe élite des Vestales s’est érodée à un certain moment, elle a dû se tourner vers le club Montréal Synchro pour poursuivre sa progression et continuer de nourrir ses ambitions d’aller plus loin dans son sport.
Au fil des années, elle a participé à plusieurs compétitions d’envergure, dont neuf championnats canadiens et quelques compétitions internationales.
En prenant sa retraite en 2015, Geneviève Peel a complètement mis derrière elle la natation artistique. Ce n’est que récemment qu’elle est retournée à l’eau en devenant membre de l’équipe de l’Université McGill, où elle étudie en médecine. Une façon pour elle de faire la paix avec son sport.
« Au début, je me comparais beaucoup aux autres. J’avais des flashbacks de mon ancienne carrière au niveau élite, soutient-elle. Mais ça m’a aidée à me rappeler que c’est le sport que j’aime et qu’il va toujours rester le mien. »