Ainsi, M. Lorange déplore d’entrée de jeu qu’une élève de Casavant ait « subi les contrecoups de la théorie du genre ». Ça sonne sérieux! Ce n’est cependant qu’après trois paragraphes confus sur l’idéologie du genre qu’il clarifie ce qui est arrivé, selon les paroles de la mère de l’élève : « La professeure a informé ma fille que les jeunes peuvent faire une transition sexuelle à partir de l’âge de 14 ans sans le consentement de leurs parents et que cette transition est remboursée par l’assurance maladie ». L’école Casavant aurait donc commis l’atrocité d’exposer cette élève… à une information factuelle!
C’est en effet une réalité objective qu’au Québec, à partir de 14 ans, un individu est libre de consentir à la plupart des procédures médicales couvertes par la RAMQ, incluant la prise de bloqueurs de puberté ou d’hormones dans le cadre d’une transition de genre. Cette affirmation n’a rien d’idéologique et ne fait que décrire le fonctionnement de notre système de santé, mais M. Lorange incite son lectorat à la voir comme un affront inacceptable en la dépeignant comme un outil de « propagande » de l’« idéologie du genre », dont les élèves « subissent » les « contrecoups ».
Non content d’avoir dépeint une affirmation factuelle en véritable outrage, M. Lorange pivote ensuite pour dénoncer la situation actuelle telle qu’elle a été enseignée : il serait inacceptable qu’on permette aux adolescent.e.s de transitionner. Pour justifier cette position, M. Lorange va ici utiliser une autre tactique malhonnête : le langage à forte charge émotive. Les chirurgies de réassignation sexuelle deviennent des « mutilations génitales », comparant ainsi des procédures médicales établies entreprises volontairement à l’un des pires actes de violence possible. La peau de l’avant-bras utilisée pour les phalloplasties n’est pas prélevée, mais plutôt « arrachée », terme qui renvoie à une image bien loin des salles de chirurgies, de l’expertise médicale et des anesthésiants. « Énorme bourde », « horreur », « lubie »… l’argumentaire tout entier de M. Lorange repose sur l’idée que la transition de genre médicale est violente, irrationnelle et macabre.
Pourtant, et c’est le plus important, cette idée est à l’exact opposé de la réalité. Les procédures médicales de transition ont été développées et sont constamment révisées en fonction de l’expertise médicale des professionnel.le.s qui accompagnent leurs patient.e.s transgenres. S’il est vrai que la transition peut commencer à 14 ans sur le plan hormonal, elle implique très rarement des chirurgies à l’adolescence, les mastectomies n’étant offertes qu’à partir de 16 ans et les chirurgies génitales, à partir de 18 ans – et ça, c’est sans compter les temps d’attente pour avoir accès à chacune de ces étapes.
Surtout, les procédures de transition sont largement documentées comme ayant des résultats très positifs. Une méta analyse des études sur le sujet indique clairement que la transition médicale allège la dysphorie de genre (sentiment d’incongruité entre son corps et son identité) et améliore la santé mentale, la qualité de vie et la vie sexuelle des personnes transgenres. Les taux de regret des chirurgies de réassignation sexuelle tournent autour du 1 % , ce qui est significativement plus bas que des chirurgies comme le remplacement de hanche (5 %) ou de genou (17 %) qui ne suscitent pourtant aucune controverse.
S’il est vrai que certaines personnes détransitionnent, la vaste majorité le fait pour des raisons externes telles que la pression de leur entourage ou la discrimination vécue en tant que personne trans. En effet, le sondage le plus complet à ce jour sur les réalités trans aux États-Unis a révélé que parmi toutes les personnes ayant entrepris une transition (médicale ou non), seulement 8 % ont détransitionné; parmi celles-ci 62 % ont retransitionné par la suite, et seulement 5 % (0,4 % du total) ont détransitionné parce que la transition ne leur convenait pas.
En tentant de décrier la soi-disant idéologie du genre woke, M. Lorange nous révèle plutôt son propre biais idéologique. En effet, son attachement dogmatique à une vision simpliste et bio-essentialiste du genre est si fort qu’il ne peut accepter que l’accès à la transition médicale soit une bonne chose qui a un impact positif mesurable sur la qualité de vie des personnes qui en bénéficient. Plutôt, il se voit obligé de dépeindre une information factuelle comme de la propagande et des chirurgies comme des scènes d’horreur dans l’espoir que les émotions fortes que ce vocabulaire suscite inspirent la crainte chez son lectorat.
Heureusement, la plupart d’entre nous ont l’esprit assez aiguisé pour ne pas se laisser berner par ces histoires de peur transphobes.
Charles-Émile Fecteau, Québec
Théodore Paré, Québec
Anna-Ève Cusson, Saint-Pie