21 mars 2024 - 03:00
Immigration : le Québec avant le big business
Par: Le Courrier
Ottawa a offert à une multinationale, la tentaculaire McKinsey, le lucratif mandat de définir de nouveaux seuils migratoires. Le plan s’intitule la Century Initiative. L’opération de communication implacable : la seule manière d’éviter les accusations de racisme est d’augmenter la population totale du Canada de 100 millions d’ici 2100. Pour concocter cette volonté, faite sur mesure pour le big business, Ottawa a combiné l’ignorance des besoins et de la volonté de distinction culturelle du Québec et des Premières Nations au mépris le plus total des capacités d’accueil réalistes. Et cela ne rend même pas service aux futurs nouveaux arrivants.

Une crise d’envergure nous guette et il n’est nullement xénophobe de le souligner. Le nombre d’immigrants temporaires a explosé au Canada dans la dernière année pour atteindre 2,5 millions, a dévoilé Statistique Canada. Il s’agit d’une hausse de 46 % en un an, la plus importante jamais enregistrée.

Au Québec, la population de résidents non permanents a également augmenté de près de 46 % et se chiffre désormais à 470 000 personnes. Cet automne, la ministre de l’Immigration du gouvernement du Québec, Christine Fréchette, a demandé conséquemment à Ottawa de revoir ses seuils d’immigration alors qu’Ottawa souhaite admettre 500 000 immigrants permanents par année dès 2025.

Le Québec et les provinces sont les plus aptes à connaître la réalité du terrain. Tenir compte de leur capacité d’accueil en matière de services de santé, d’éducation, de langue et de logement, c’est une nécessité pour bâtir un modèle d’immigration réussi et garantir que les nouveaux arrivants puissent trouver ici de bonnes conditions de vie.

Ces nouveaux seuils migratoires signifient des conséquences au niveau du logement, un domaine en crise. Les places sont plus que limitées. Un rapport de la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL), publié en septembre, estime les besoins en logements additionnels pour l’ensemble du Canada d’ici 2030 à 3,5 millions d’unités supplémentaires, selon le scénario de base. Et ça, uniquement si « la politique d’immigration actuelle prenait bien fin en 2025 ».

Un rapport de cette même SCHL, en 2024, explique la hausse des coûts comme le résultat de la croissance démographique, le solde migratoire ayant plus que doublé au Québec en 2023 avec l’arrivée d’un nombre record de résidents non permanents (nombre net de près de 150 000 nouveaux résidents). La solide reprise de la migration après la pandémie a ainsi contribué au fort rebond de la demande de logements locatifs. En 2023, ce sont 872 000 Québécois qui ont sollicité l’aide alimentaire. Alors qu’un Québécois sur dix n’arrive pas à subvenir à ses besoins alimentaires, l’augmentation du prix des loyers et des hypothèques fait vivre dans la précarité un nombre toujours plus grand de gens.

Ces nouveaux seuils migratoires signifient des conséquences au niveau des services publics. Qui dit immigration dit mobilisation de services divers : francisation, éducation, aide juridique, services de garde, aide de dernier recours, services sociaux et soins de santé, logement temporaire, aide de recherche au logement. Tout nouvel arrivant doit pouvoir profiter dignement de ces services. Or, il faut que ces derniers puissent répondre aux attentes. Ottawa prend les immigrants en otage en les lançant sans boussole au milieu de la jungle.

Ces nouveaux seuils migratoires signifient aussi des conséquences culturelles. Le Québec a déjà de la difficulté en matière de francisation de l’immigration. Selon le démographe Alain Bélanger, il faudrait que 90 % des nouveaux arrivants choisissent le français, alors que ce taux est actuellement entre 50 et 60 %. Notre langue est menacée d’extinction. Et il va sans dire qu’Ottawa n’a réalisé aucune étude sur les conséquences de ses cibles sur les dynamiques linguistiques au Québec!

Refusons d’être une communauté parmi d’autres, nous sommes une nation fière. Nous devons avoir la pleine et entière liberté de contrôler nos seuils d’immigration ET la manière dont nous souhaitons aménager la diversité chez nous. La meilleure manière d’éviter la xénophobie est précisément d’assurer une intégration harmonieuse à la nation d’accueil. Pour cela, il faut avoir une vision réaliste et réalisable. Le problème, c’est qu’il y a deux nations, avec des valeurs et des intérêts qui divergent, la nation canadienne et la nation québécoise. La solution, c’est qu’il y ait deux pays.

Simon-Pierre Savard-Tremblay, député de Saint-Hyacinthe–Bagot

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