11 novembre 2021 - 07:00
La plus grande des petites professeures de piano : Madeleine Arel, 1921-2021
Par: Le Courrier
Madeleine Arel est décédée le 1 er novembre à l’âge de 100 ans. Photos gracieuseté

Madeleine Arel est décédée le 1 er novembre à l’âge de 100 ans. Photos gracieuseté

Madeleine Arel est décédée le 1 er novembre à l’âge de 100 ans. Photos gracieuseté

Madeleine Arel est décédée le 1 er novembre à l’âge de 100 ans. Photos gracieuseté


Madeleine serait bien gênée que je parle d’elle dans un journal, et encore plus pour faire son éloge. Mais le 1er novembre, Madeleine a pris définitivement congé de nous et je suis maintenant libre de raconter, malheureusement trop brièvement, la vie de cette légendaire Maskoutaine et de dévoiler tout l’héritage méconnu qu’elle a apporté à l’histoire de notre ville.

Madeleine n’a jamais pris mari, car elle a épousé la musique. Pour elle, rien n’était plus important que d’apprendre et de transmettre cette passion au plus grand nombre et elle a consacré 84 ans de sa vie à cette vocation. Première femme à enseigner le piano au Séminaire, elle a par la suite ouvert son propre studio à la maintenant défunte Place Frontenac, située en face du marché. Ce studio avait une grande notoriété dans toute la région et offrait une alternative laïque à l’enseignement musical fourni par les congrégations religieuses.

Les pianos ne dérougissaient pas là-bas, car avec l’aide des professeurs qualifiés qu’elle engageait, elle a contribué à former à cet instrument au moins 1500 petits et grands Maskoutains. Elle a par la suite continué son œuvre d’enseignement chez elle, dans son petit logement de l’avenue Saint-François, avec son piano à queue, ses montagnes de cadeaux pour les élèves et ses innombrables chats, dont de nombreuses personnes en lisant cette chronique se souviendront.

Elle était entièrement dévouée à son art et généreuse en tout. Toujours ses cours dépassaient largement l’heure de fin, sans qu’elle ne demande jamais d’honoraire supplémentaire, car elle n’était satisfaite d’une leçon que si elle avait eu le temps de repasser en profondeur avec l’élève toutes les pièces et notions à l’étude. Afin d’être indépendante des diplômes décernés par les congrégations religieuses, elle s’est rapidement affiliée à l’Académie de musique du Québec et organisait une équipée une fois par année à Montréal pour y amener ses élèves passer leurs examens. Par la suite, c’est l’Académie qui vint à elle en délégant des juges pour aller auditionner les élèves directement à Saint-Hyacinthe.

Elle retirait une grande fierté de voir ses élèves se démarquer par la grande qualité de leurs connaissances théoriques et de leur interprétation, ce qui se confirmait par leurs excellentes notes aux examens, mais je crois qu’elle était tout aussi satisfaite de voir que la musique avait fait son chemin dans la tête et les doigts de ses enfants d’adoption et qu’elle y avait élu demeure pour de bon.

Afin de reconnaître son apport inestimable à l’enseignement, elle fut d’ailleurs nommée, il y a quelques années, membre honoraire de l’Académie de musique du Québec lors d’une cérémonie qui, quoiqu’elle fut heureuse de recevoir cette distinction, la rendit fort gênée d’attirer autant l’attention.

L’apprentissage de la musique est exigeant et Madeleine le savait bien. Jamais elle ne se satisfaisait d’une interprétation nonchalante et personne n’était capable de lui cacher qu’il ou elle n’avait pas pratiqué cette semaine-là! Et surtout, jamais elle n’acceptait de mollesse, de fioritures inutiles, de rubato exagéré dans l’interprétation des pièces : elle souhaitait que chacun reste humble devant la partition, essaie de comprendre l’intention du compositeur et se hisse à son niveau. Elle était d’ailleurs tout aussi exigeante envers elle-même : des cours de perfectionnement qu’elle suivait aux revues musicales spécialisées qu’elle faisait livrer expressément à son attention au dépanneur près de chez elle, Madeleine a toujours voulu en savoir davantage sur son art.

Même si elle avait connu et aimé des musiciens d’un autre siècle, entre autres à travers les soirées des Jeunesses musicales canadiennes organisées par ses frères Gaston et Marcel, elle a continué toute sa vie à vouloir découvrir de nouveaux pianistes dont elle s’est entichée, comme Martha Argerich, Hélène Grimaux, Alexandre Tharaud et, plus récemment, Charles-Richard Hamelin. Il y a deux semaines, elle était tout aussi intéressée à entendre jouer Bruce Liu, le Québécois récemment vainqueur du Concours Chopin, et émerveillée que quelque chose comme YouTube existât et que l’on puisse y écouter une quantité infinie de musique en tout temps!

Madeleine incarne bien toutes ces femmes de l’ombre qui ont construit le Québec sans jamais rien demander en retour. Ces femmes qui n’ont donné leur nom à aucune rue, qui n’ont jamais été sollicitées en entrevue et qui n’ont pas été mentionnées dans les livres d’histoire. Et pourtant, leur présence traverse de façon incontournable la trame narrative de tout un peuple.

Et de la même façon qu’il faut tout un village pour élever un enfant, il faut aussi toute une communauté pour prendre soin d’une aînée. L’exemple de Madeleine qui, grâce au soutien non seulement de sa famille, mais de tous ses amis qui se sont mobilisés, a pu résider dans son appartement jusqu’à la fin, recevoir des soins et des visites malgré la pandémie et trouver un logement qu’elle était capable de se payer malgré son expulsion de l’avenue Saint-François, en témoigne de façon éloquente.

Oui, Madeleine aurait été bien gênée de cet hommage. C’est pourquoi j’ai pris la peine d’insérer le mot « petite » dans le titre afin de l’atténuer un peu et de me faire pardonner parce que, s’il n’en était tenu qu’à moi, ce mot aurait été superflu. Car, dans sa vie, Madeleine la ponctuelle et la généreuse n’a manqué qu’un seul rendez-vous avec une élève : le 1er novembre, elle n’a pu donner le cours qui était prévu ce soir-là.

Avec son indépendance coutumière, elle s’est retirée de la vie entre appels et visites, à un moment où personne n’était là pour paniquer et appeler l’ambulance, comme si la mort lui donnait une ultime chance d’être en contrôle tel qu’elle le souhaitait, sous les yeux bienveillants de Merlin le chat.

Merci pour tout, Madeleine!

Sonia Chénier, de la part de tes innombrables élèves, parents et amis

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