27 juillet 2017 - 00:00
L’alcool et ses débats
Par: Le Courrier
Prospectus du Comité de Tempérance de Bagot en vue du référendum de 1912 sur la prohibition dans le comté. CH257.

Prospectus du Comité de Tempérance de Bagot en vue du référendum de 1912 sur la prohibition dans le comté. CH257.

Prospectus du Comité de Tempérance de Bagot en vue du référendum de 1912 sur la prohibition dans le comté. CH257.

Prospectus du Comité de Tempérance de Bagot en vue du référendum de 1912 sur la prohibition dans le comté. CH257.

À la fin du XIXe siècle, les débats sur la tempérance attisent les tensions au Canada. Lors du référendum fédéral de 1898 sur la prohibition, les Québécois votent en majorité contre la loi qui a pour objectif de prohiber l’importation, la fabrication et la vente de liqueurs alcoolisées sur l’ensemble du territoire canadien. Malgré que cette loi ne soit pas adoptée, le mouvement prohibitionniste prend de l’ampleur. En 1918, 92 % des municipalités québécoises votent l’interdiction de la vente de boissons alcoolisées sur leur territoire. Saint-Hyacinthe fait toutefois exception.


Référendum maskoutain sur la prohibition de 1916

Deux périodiques maskoutains établissent les bases du débat opposant prohibitionnistes et anti-prohibitionnistes. Le journal d’idéologie conservatrice Le Courrier de Saint-Hyacinthe est en faveur de la prohibition, alors que Le Clairon est contre. Soulignons que ce dernier est fondé par Télesphore-Damien Bouchard, un homme politique d’allégeance libérale. Dans leur numéro du 22 janvier 1916, c’est-à-dire quelques jours avant le référendum maskoutain sur la prohibition, les journalistes du Courrier écrivent ces mots : « Vous allez avoir à choisir entre deux voies opposées le jour du vote sur la prohibition. Sur l’une d’elles, vous conduisent les princes de l’Église, les princes de la science, les plus hauts dignitaires de la justice, les savants les plus réputés, les hommes d’affaires et les industriels les plus avisés. Sur l’autre, vous marcherez à la remorque des marchands d’alcool […] [qui veulent] [u]niquement et simplement sauvegarder les intérêts de 10 hôteliers qui s’enrichissent dans ce commerce exécrable du poison qu’est l’alcool! » 

Dans leur numéro du 21 janvier 1916, les journalistes du Clairon rejettent l’idée que la prohibition est la panacée à tous les maux de la société. Ils considèrent que la faute des prohibitionnistes : « c’est de croire qu’avec la prohibition fleurira l’ère de la régénération sociale définitive » et que quand « la vente des liqueurs sera prohibée, il n‘y aura plus de fous, il n’y aura plus de criminels, il n’y aura plus de pauvres ». Ils donnent en exemple l’État du Maine, où il est facile de se procurer « des mélanges enivrants » malgré la prohibition qui y est en vigueur.

Le référendum se déroule du 24 au 26 janvier 1916. Durant la première journée de vote, les journalistes du Courrier soutiennent que le processus de votation est biaisé. Ils reprochent la seule présence du maire et du greffier au moment du vote des citoyens, alors qu’il est coutume d’enregistrer son vote en assemblée publique. À la suite de pressions d’une délégation de prohibitionnistes, le maire René Morin autorise finalement la présence dans le bureau de votation de représentant des deux partis. 

La journée suivante, trois constables de la Police provinciale du Québec sont envoyés aux portes du bureau de vote afin de maintenir l’ordre et assurer la liberté du vote. La veille, toujours selon Le Courrier, certains « partisans de l’alcool » bloquaient la porte à leur adversaire : « Un peu après une heure de l’après-midi, MM. les abbés Desrosiers et Desranleau, accompagnés de deux ou trois autres prêtres, arrivèrent à la porte du bureau de votation, lorsque les anti-prohibitionnistes leur barrèrent le passage. Ils leur ordonnèrent même de s’éloigner. « Nous ne voulons pas tolérer votre présence ici, dirent-ils. Pas de prêtres au bureau de votation! Vous autres, les prêtres, vous avez accompli votre mission à l’église. Vous n’avez pas d’affaire ici. Et ils se mirent à les bousculer, à les refouler, les forçant finalement à s’éloigner. » À la fermeture du bureau de vote, c’est le camp des anti-prohibitionnistes qui l’emporte avec 922 voix contre 610.

Après la défaite des prohibitionnistes, Le Clairon critique à son tour le camp adverse dans son édition du 28 janvier : « Pour essayer de faire adopter le règlement prohibitionniste on a mobilisé toutes les forces du clergé […] rien n’a pu empêcher les citoyens de déclarer, par une majorité écrasante, que la liberté existait à Saint-Hyacinthe […] Les journaux à la solde des prohibitionnistes ont aussi fait une campagne qui restera comme un monument de la haine de ceux qui l’ont dirigée à l’endroit de gens qui ne partagent pas leurs idées. Les citoyens de Saint-Hyacinthe ont fait voir au poll ce qu’ils ont pensé de votre sainte presse. »

Au-delà de son résultat, le référendum maskoutain de 1916 sur la prohibition de l’alcool met en lumière l’existence de tensions qui émanent de l’affrontement entre les idéologies conservatrice et libérale, respectivement associées au Courrier et au Clairon.

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