4 janvier 2024 - 03:00
Entrevue éditoriale avec le maire André Beauregard
« L’année 2023 m’a appris l’importance d’établir des priorités »
Par: Martin Bourassa
Le maire de Saint-Hyacinthe, André Beauregard, a bavardé une bonne heure en compagnie de notre éditorialiste Martin Bourassa à la bibliothèque de Saint-Hyacinthe.Photo François Larivière | Le Courrier ©

Le maire de Saint-Hyacinthe, André Beauregard, a bavardé une bonne heure en compagnie de notre éditorialiste Martin Bourassa à la bibliothèque de Saint-Hyacinthe.Photo François Larivière | Le Courrier ©

Dans le cadre de son tête-à-tête annuel avec le maire André Beauregard, notre éditorialiste Martin Bourassa passe en revue les moments forts de la dernière année sur la scène municipale locale et soulève quelques enjeux pour l’année à venir. Cet entretien sans cérémonie, le troisième du genre entre ces deux hommes qui se connaissent de longue date, s’est déroulé par un beau vendredi matin de décembre à la nouvelle bibliothèque T.-A.-St-Germain, fraîchement inaugurée.

Éditorialiste : Sans plus de préambule, et c’est peut-être la question la plus importante du lot, comment se porte le maire de Saint-Hyacinthe? La santé est bonne?

Maire : C’est vrai que la santé, c’est important. Il y a d’ailleurs plusieurs maires qui sont tombés au combat au cours de la dernière année. Ce n’est pas une job facile, il y a beaucoup de pression et on reçoit plus de critiques que de positif. Personnellement, je traîne un petit rhume depuis un mois, mais en général, ma santé est bonne.

Éditorialiste : Est-ce que l’année 2023 a été difficile? Comment la décrirais-tu?

Maire : Elle a été vraiment très occupée. On sent que la pandémie est derrière nous et la machine municipale est sollicitée de tous bords tous côtés. J’ai été super occupé et, même si l’année 2024 ne s’annonce pas facile au niveau économique, je ne pourrai pas vraiment lever le pied. Il y a plein de dossiers qui exigent mon attention.

Éditorialiste : On a passé le cap du mi-mandat en novembre dernier, quel bilan fais-tu de tes deux premières années à la mairie? As-tu accompli jusqu’ici ce que tu voulais faire il y a deux ans lors de ton élection?

Maire : J’aimerais toujours en faire plus, bien entendu. Mais il faut toujours y aller au rythme de la Ville et selon nos moyens qui sont de plus en plus limités. Nous avons rehaussé le plafond symbolique de la dette à 95 M$ et nous avons encore un peu de marge de manœuvre heureusement. La dette a progressé beaucoup depuis deux ans en raison de projets d’envergure qui ont été livrés. Il y a aussi des déficits d’entretien dans nos infrastructures qui nécessitent des investissements, on ne peut pas seulement penser au développement. L’année 2023 m’a appris l’importance d’établir des priorités.

Éditorialiste : J’aimerais que l’on revienne sur les dossiers municipaux qui ont marqué l’année 2023. D’entrée de jeu, on se souviendra qu’il y a eu un changement à la direction générale en début d’année pour donner le ton à 2023. As-tu perçu une différence entre l’administration Bilodeau et l’administration Frigon?

Maire : (rires) Oui et c’est une grosse différence, un changement de philosophie, même si les façons de faire de l’administration précédente ont donné de bons résultats et fait progresser la Ville. Sans rien enlever à M. Bilodeau, qui est un homme que je respecte beaucoup, je trouve que Mme Frigon fonctionne davantage en équipe, avec une vision transversale. Je sens nos directions plus engagées, alors qu’auparavant, tout passait par la direction générale. Je me reconnais beaucoup plus dans cette approche qui priorise le jeu en équipe.

Éditorialiste : Que ce soit Louis Bilodeau ou Chantal Frigon, est-ce encore la direction générale qui décide de tout et qui impose ses idées au conseil?

Maire : Ben non, ce n’est pas ça. La nouvelle directrice générale est très transparente avec moi et avec le conseil. Il me semble qu’on est au courant plus rapidement des dossiers de l’heure et de ce qui se passe à l’Hôtel de Ville. L’information circule vite et bien et c’est toujours le conseil qui décide à la fin, en toute connaissance de cause.

Éditorialiste : Mme Frigon a quand même réussi le tour de force de convaincre le conseil du bien-fondé d’accorder un rattrapage de 14 % à tous les cadres en 2024, ce qui s’ajoutera à l’indexation de 2,25 % prévue au 1er janvier.

Maire : Neuf conseillers sur onze étaient d’accord avec ça et moi aussi. On n’avait pas le choix de suivre et de rendre la Ville plus compétitive comme employeur. Nous avons perdu trop de bons candidats pour une question monétaire. On était au bas du classement parmi les municipalités comparables et on s’est ajusté. Mme Frigon n’a pas eu à faire un gros « pitch » de vente pour convaincre le conseil.

Éditorialiste : Et le budget 2024, qui présente une hausse du compte de taxes de 5,76 % pour une résidence moyenne sans piscine, es-tu fier du résultat?

Maire : On souhaiterait toujours présenter une hausse de taxes plus basse, c’est évident, mais personnellement, j’aurais voté en faveur du budget si j’avais eu à me prononcer. On n’a pas assez monté les taxes l’an dernier. Quand on n’atteint pas la cible de l’Indice des prix à la consommation, on s’appauvrit comme Ville. Par le passé, on a souvent été trop conservateurs avec les taxes et cela nous rattrape à la longue.

Éditorialiste : Créer deux taxes, ce n’est jamais très populaire. On ajoute la grise pour les grands stationnements et la noire pour les propriétaires qui chauffent au mazout. Était-ce vraiment nécessaire? Ça va réellement regarnir vos coffres ça?

Maire : Ce sont des taxes pour faire bouger les choses, à commencer par inciter les gens à éliminer le mazout. Cette taxe-là s’appliquera à moi aussi puisque j’envisage de remplacer mon système de chauffage à la maison l’été prochain. Pour les propriétaires de grands stationnements, on aimerait qu’ils songent à requalifier ces espaces, pour y faire pousser des tours d’habitation et des commerces par exemple.

Éditorialiste : En 2023, tu as aussi eu un échange un peu corsé avec la cheffe de Saint-Hyacinthe unie, Marijo Demers, lors d’une séance publique. Le regrettes-tu?

Maire : Si c’était à refaire, j’agirais sans doute différemment, mais bien des gens m’ont dit que j’avais eu raison de faire cette sortie et de m’interroger sur les dépenses du parti. Je ne regrette pas mes propos, mais peut-être un peu la forme. Mon intention était bonne.

Éditorialiste : Mme Demers a annoncé qu’elle quitterait son poste à la tête de ce parti et prendrait en quelque sorte une retraite politique. Vas-tu t’ennuyer d’elle et de ses sorties dans LE COURRIER?

Maire : Ça fait partie de la game d’avoir de l’opposition en politique et je vis très bien avec cela. Mme Demers a toujours été respectueuse dans ses commentaires. Il n’y a jamais rien eu de personnel dans ses attaques, elle jouait bien son rôle.

Éditorialiste : Penses-tu que son parti politique va survivre à son départ?

Maire : Je ne le sais pas, ce n’est pas simple. Les prochaines élections sont encore loin et il peut se passer beaucoup de choses sur la scène municipale d’ici là. Je sais que les Maskoutains souhaitent avoir des élus indépendants comme c’est le cas actuellement. À la dernière élection, je n’ai même pas l’assurance que tous ceux et celles qui ont été élus m’appuyaient et je vis très bien avec ça. Il n’y a pas de ligne de parti au conseil.

Éditorialiste : Parmi les dossiers qui vous ont causé un peu d’embarras en 2023, il y a bien sûr l’enquête de la Société Radio-Canada (SRC) sur les boues municipales utilisées comme digestat. À quel point ce dossier-là a-t-il eu des conséquences pour la Ville?

Maire : L’impact financier a été énorme, cela nous a coûté 1 M$ de plus au niveau des dépenses pour valoriser les boues et regagner la confiance des agriculteurs. C’est dommage, mais on ne peut pas se battre contre Radio-Canada. Je continue de croire que les journalistes ont tourné les coins ronds et manqué d’honnêteté malgré ce que l’ombudsman de la SRC a dit.

Éditorialiste : La rentabilité de l’usine de biométhanisation, c’est à l’état de fantasme?

Maire : Je pense que sans les reportages de la SRC, nous aurions réussi à dégager un petit profit avec nos opérations. Nous réussissons à rembourser nos emprunts sans faire de gros déficit, peut-être quelque chose comme 500 000 $, et on économise beaucoup, facilement 2 M$ par année sur le traitement et la disposition des boues.

Éditorialiste : De façon générale, trouves-tu que l’année a été bonne sur le plan économique à Saint-Hyacinthe?

Maire : Le ralentissement s’est surtout manifesté au niveau de la construction, mais il faut dire que les années précédentes avaient été exceptionnelles. L’année 2023 aura été pas si mal dans l’ensemble.

Éditorialiste : L’annonce du départ du siège social d’Olymel, l’épée de Damoclès au-dessus des 200 emplois à l’imprimerie TC à cause de la disparition du Publisac et le départ annoncé des Sœurs de la Présentation de Marie, ça laisse entrevoir des mois difficiles non?

Maire : Possiblement, mais on espère de belles annonces au printemps, tout particulièrement au niveau de la zone d’innovation agroalimentaire. Une reconnaissance officielle de la part du gouvernement pourrait se traduire par des retombées intéressantes. On aimerait entre autres que les entreprises dans ce domaine viennent s’établir chez nous pour y faire de la recherche et du développement.

Éditorialiste : Quelques mots sur nos églises. La Ville a annoncé l’acquisition et la démolition de l’église Saint-Joseph pour permettre la construction d’une école. Sur le coup, on dirait que la Ville a sorti la nouvelle un peu vite et indisposé ses partenaires, dont la Fabrique, est-ce une fausse impression?

Maire : On s’était peut-être mal compris en effet, mais la Fabrique semblait d’accord avec la suite des choses. Du moment où l’on décide de placer des investissements au Plan triennal d’immobilisations, il faut donner des explications sur la place publique. Nous l’avons fait en toute transparence.

Éditorialiste : L’avenir des églises, des bâtiments, ça préoccupe la Ville ou pas?

Maire : Ça nous préoccupe et c’est dommage de perdre des églises. Puisque c’est la population qui a contribué à financer leur construction, je considère qu’elles appartiennent à la communauté. Il n’y a pas de raison de les acheter à fort prix. Il faut leur trouver une nouvelle vocation ou se résoudre à les détruire si l’investissement est trop grand. Au niveau municipal, nous avons pris l’engagement que ces terrains conservent un zonage institutionnel pour que leur future vocation demeure communautaire. Nous voulons avoir notre mot à dire sur la suite des choses.

Éditorialiste : Du côté du Centre de services scolaire, on souhaitait obtenir un terrain du côté de Saint-Thomas-d’Aquin pour construire une école primaire et vous lui arrivez avec un terrain dans le secteur Saint-Joseph, ça ne doit pas faire son affaire, non?

Maire : Oui, le Centre de services scolaire penchait vers le secteur nord, mais pas nécessairement là. Je pense que notre terrain a été bien reçu de leur part. Ce n’est pas une mauvaise idée de construire deux écoles au même endroit et de densifier ce terrain.

Éditorialiste : La Ville souhaite que Québec change les règles du jeu et ne force plus les municipalités à céder gratuitement des terrains pour la construction des écoles. Quelle serait la meilleure solution pour que les villes aient quand même leur mot à dire sur le développement de leur territoire?

Maire : Ça devrait être au gouvernement du Québec de payer la facture du terrain, après concertation avec les villes et les centres de services scolaires.

Éditorialiste : Sur une note plus légère, tu demeures à Douville et tu as longtemps été conseiller de ce quartier en plus d’y travailler aux Loisirs. Quelle fermeture a fait le plus mal dans ton quartier : celle du mini-golf, du Chalet ou de la Cantine chez Jos?

Maire : Les trois! Nous avons perdu des institutions et c’est à la fois désolant et préoccupant pour les petits commerces de quartier. Il faut savoir qu’il y a de moins en moins de terrains disponibles, alors la requalification et le besoin de logements créent des opportunités pour les petits commerçants qui voient les promoteurs cogner à leur porte.

Éditorialiste : Parlant de la Cantine chez Jos, c’est là que nous avions fait notre toute première entrevue de fin d’année après ton élection. On ne pouvait y retourner cette année pour des raisons évidentes, alors j’ai opté pour la nouvelle bibliothèque. Considères-tu que son ouverture a été un moment fort de 2023?

Maire : Absolument! Nous y avons accueilli plus de 25 000 visiteurs seulement en octobre. Les gens se la sont déjà appropriée. Elle n’est pas parfaite, mais les gens en sont fiers et nous n’avons plus rien à envier à aucune autre municipalité. Elle a peut-être coûté cher, mais elle a été faite pour longtemps. Et en ce qui concerne les problèmes d’accessibilité pour les personnes handicapées, nous allons corriger les problèmes.

Éditorialiste : Étant donné qu’on a un joyau de bibliothèque, l’heure serait-elle venue de mettre la clé dans la porte de celle de Sainte-Rosalie et de mettre tous nos œufs dans le même panier?

Maire : Cela n’a pas été envisagé et je ne sais même pas si cela serait possible compte tenu de l’entente de regroupement que nous avions signée avec Sainte-Rosalie au moment de la fusion. En ce qui me concerne, il s’agit d’un beau satellite qui ne coûte pas trop cher.

Éditorialiste : Pour le plaisir de la chose, te souviens-tu du dernier livre que tu as lu ou du livre qui traîne sur ta table de chevet?

Maire : Oh boboy, je n’ai pas vraiment le temps de lire pour le plaisir, sauf en vacances l’été où j’apprécie des lectures plus légères que celles que je dois m’imposer tous les jours. Il y a tellement de paperasse et de choses à lire pour un maire, c’est fou! Ça ne laisse pas beaucoup de temps pour la lecture de détente.

Éditorialiste : Je croyais que tu allais répondre que c’était le livre du 275e anniversaire de la Ville de Saint-Hyacinthe.

Maire : Oui, c’est vrai, j’ai survolé l’ajout des 25 dernières années et c’est très bon! Ces fêtes ont par ailleurs été modestes, mais réussies. Nous n’avons pas fait grand-chose comparativement aux fêtes du 250e, mais nous avons souligné l’événement de différentes façons, dont la mise à jour de notre livre d’histoire du 250e. On se reprendra pour les célébrations du 300e.

Éditorialiste : Penses-tu que l’on pourra se réunir sur une promenade Gérard-Côté complètement réaménagée pour les fêtes du 300e en 2048?

Maire : Je l’espère vraiment, mais les coûts associés à ce projet d’envergure ont réellement explosé, ça n’a aucun sens. C’est décevant de constater qu’on n’aura pratiquement rien de fait avec la promenade avant la fin du mandat actuel du conseil en 2025. Tout le monde, moi le premier, aurait souhaité que ça progresse plus rapidement.

Éditorialiste : Le pôle culturel sera-t-il complété et la dette sera-t-elle à zéro à ce moment-là?

Maire : Non, ce serait rêver en couleurs en ce qui concerne la dette. Je ne pense pas que ce soit souhaitable et réaliste d’avoir une dette à zéro pour une Ville comme Saint-Hyacinthe. On y est déjà arrivé par le passé, mais à quel prix? Au prix d’un déficit d’entretien et de retard dans notre développement. Si on en fait un peu chaque année, la dette progressera moins vite.

Éditorialiste : Pour l’année qui vient, quelles sont les priorités de la Ville?

Maire : Ce sera une année davantage consacrée à l’entretien de ce que nous avons déjà qu’au développement à grande échelle. Nous allons aussi préparer le terrain en vue de grands travaux à venir. Ceux-ci sont toutefois conditionnels à des subventions des gouvernements supérieurs. À ce sujet, il faudrait bien qu’un jour les gouvernements comprennent qu’une Ville comme la nôtre n’a pas les mêmes besoins que les municipalités plus jeunes, au niveau des infrastructures d’aqueduc et d’égout entre autres. On ne peut pas traiter toutes les municipalités sur un même pied d’égalité.

Éditorialiste : Et tes résolutions pour la nouvelle année, quelles sont-elles?

Maire : Personnellement, j’aurais envie de faire davantage attention à moi. Je réalise que je n’ai pas beaucoup de vie en dehors de la politique. J’aimerais donc prendre davantage de temps pour moi et ceux que j’aime. Comme maire, je m’attribue une bonne note et je veux continuer à impliquer les conseillers, à leur donner de l’espace pour s’exprimer.

Éditorialiste : Merci d’avoir pris le temps, c’est toujours un plaisir de jaser avec le maire.

Maire : C’est réciproque, bonne année à toi et à tous les Maskoutains!

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