6 février 2020 - 15:49
L’argent, cet autre adversaire des athlètes
Par: Maxime Prévost Durand
« Si les résultats ne sont pas là, il n’y a pas d’argent », affirme la golfeuse Valérie Tanguay, espoir maskoutain qui gravit les échelons vers le circuit de la LPGA. Photo Bernard Brault / Golf Canada

« Si les résultats ne sont pas là, il n’y a pas d’argent », affirme la golfeuse Valérie Tanguay, espoir maskoutain qui gravit les échelons vers le circuit de la LPGA. Photo Bernard Brault / Golf Canada

Athlète de haut niveau et étudiante universitaire à temps plein, Tali Darsigny ne peut compter que sur les bourses qu’elle obtient comme source de revenus. Photo François Larivière | Le Courrier ©

Athlète de haut niveau et étudiante universitaire à temps plein, Tali Darsigny ne peut compter que sur les bourses qu’elle obtient comme source de revenus. Photo François Larivière | Le Courrier ©

L’une est golfeuse, l’autre est haltérophile. L’une aspire à la LPGA, l’autre aux Jeux olympiques. Même si elles font partie de l’élite de leur sport, la Maskoutaine Valérie Tanguay et la Simonaise Tali Darsigny n’ont pas que leurs rivaux comme adversaires : l’argent en est un autre de taille et il est, pour ainsi dire, déterminant dans la poursuite de leur rêve sportif.

Leur réalité est bien différente, du fait que la première évolue dans un sport professionnel et la seconde au sein d’un sport amateur, mais d’une certaine manière, elle se rejoint parce que les sous qui vont dans leurs poches sont inévitablement reliés à leurs performances.

« Si les résultats ne sont pas là, il n’y a pas d’argent, lance Valérie, en entrevue avec LE COURRIER. C’est sûr que ça peut freiner quelqu’un [dans son ascension] parce que, si tu n’as pas l’argent nécessaire, tu ne peux pas participer aux compétitions. »

Pour un athlète, c’est un poids qui peut peser lourd et qui fait en sorte qu’il n’y a plus que son sport à penser. Surtout à un stade où les résultats sont déterminants dans la suite d’une carrière. Étrangement, au golf, c’est aussi là où les tournois sont les plus chers.

« En partant, il faut payer un membership pour faire partie de l’association et ensuite tu repaies à chaque tournoi. Les tournois des mini tours peuvent coûter jusqu’à 550 $ US chacun et ceux du circuit Symetra sont environ 400-500 $ US, tandis que ceux de la LPGA ne sont même pas 200 $ US. C’est vraiment au début que tu as le plus besoin d’argent. Mais personne ne veut en donner parce qu’on n’est pas à la télévision. »

Dans le cas de la golfeuse de 24 ans, le nombre de tournois sélectionnés est donc limité pour ne pas faire exploser le budget, mais cela ajoute une pression de performer à chacun d’eux.

S’approcher du but

Au cours de la dernière année, Valérie a évolué sur le circuit WAPT (Women’s All Pro Tour), avant d’obtenir son statut sur le Symetra Tour, un circuit juste en dessous de la LPGA, le plus prestigieux chez les femmes. Elle a même vécu son baptême de ce grand circuit en participant à l’Omnium canadien CP à Aurora, en août.

Ce sont là ses plus belles expériences en carrière. Des occasions qui lui montrent qu’elle est sur la bonne voie pour se rendre vers les plus hauts niveaux. Mais cette saison a aussi été celle qui lui a coûté le plus cher, avec tous les déplacements et les frais reliés à ces tournois. Elle estime que l’année 2019 lui a coûté entre 35 000 $ et 40 000 $ en golf seulement. « Et je ne parle pas de mes dépenses quand je vais m’entraîner en Floride pendant l’hiver ou les coûts pour mon entraîneur. C’est seulement pour les tournois, la nourriture, l’hébergement et les déplacements », précise-t-elle.

Ses performances sur le terrain lui ont permis de remporter 15 625,50 $ US. Sur le Symetra Tour, elle a obtenu une bourse totale de 5588 $ en 11 tournois, puis elle a récolté 10 037,50 $ sur le WAPT, en grande partie grâce à un tournoi qu’elle a gagné et qui lui a rapporté 7500 $. « Ça te reboost le portefeuille », s’exclame-t-elle à propos de ce dernier montant. Mais comme elle n’est pas Américaine, ce n’est pas la totalité de ce montant qui lui revient. La bourse est taxée de 30 % en raison de sa non-résidence aux États-Unis. « Et dans certains États, tu repaies aussi une taxe. »

Malheureusement, le fait qu’elle soit une femme semble également désavantager son portefeuille. « Pour un dollar gagné chez les gars, on gagne quinze sous, indique-t-elle. Tu vois que l’écart est bien trop prononcé. C’est encore plus difficile d’avoir des commanditaires parce que les gars passent tout le temps à la télé et les femmes presque jamais. »

Cogner aux portes

Avec de tels chiffres, on comprend donc qu’il lui faut d’autres sources de revenus pour pouvoir continuer sa progression dans les rangs professionnels. Mais où trouve-t-elle cet argent? Avec certaines bourses pour athlètes qu’on lui remet, mais surtout avec des commanditaires qu’elle doit aller chercher. « C’est vraiment d’aller cogner aux portes et, dans le pire des cas, les gens vont dire non. C’est difficile. »

Elle n’a pas non plus de soutien de la part de Golf Canada. « Vu que je suis dans une catégorie pro, je n’ai plus de soutien. On est laissé dans le néant. »

L’an dernier, une campagne GoFundMe qu’elle a lancée lui a permis d’amasser près de 3500 $ en dons. Un commanditaire lui a aussi offert 15 000 $. « J’ai été chanceuse. Ils m’ont dit : on te donne l’argent, va t’amuser et continue si tu aimes ça. » Récemment, un autre commanditaire s’est ajouté, ce qui lui permet de respirer un peu mieux encore. Des partenaires lui fournissent aussi vêtements et bâtons notamment. Cela dit, chaque dollar est compté pour arriver kif-kif à la fin de l’année.

Pour tenter de sauver quelques dollars ici et là, Valérie opte souvent pour les familles d’accueil proposées dans la ville où se déroule le tournoi auquel elle participe. Mais ça, c’est quand il y en a. Elle tente aussi de faire le plus souvent les trajets en voiture pour se rendre aux tournois, plutôt que de voyager en avion. Mais un dilemme s’impose parfois. « Est-ce que je suis mieux de prendre l’avion et d’arriver en forme ou je conduis pendant douze heures et je suis peut-être plus fatiguée pour ma compétition? J’y vais selon comment je me sens et aussi selon les prix des vols. Il faut vraiment tout regarder. »

Pendant qu’elle tente de trouver l’argent pour couvrir ses dépenses, elle ne se concentre pas totalement sur son but premier : devenir une meilleure golfeuse. « C’est du temps que je pourrais mettre ailleurs et, souvent, ça me gruge de l’énergie », laisse-t-elle tomber. Après en avoir parlé à d’autres golfeuses, dont certaines qui font partie de la LPGA, elle regarde la possibilité de travailler avec un agent. Mais ce sera, là encore, d’autres frais.

Des bourses comme seul revenu

La situation est la même pour Tali Darsigny. En plein processus de qualification en vue des Jeux olympiques de Tokyo, l’haltérophile a été appelée à participer à différentes compétitions un peu partout sur la planète dans la dernière année. Et à cela, il y a un coût.

« L’année 2019 a été la plus coûteuse pour moi et de loin, affirme-t-elle. Dans les années précédentes, je trouvais que l’haltéro était quand même un sport peu dispendieux. Il y avait notre cotisation au club, qui n’est pas très chère, et le coût des compétitions, qui n’est pas dispendieux au niveau provincial et national. C’est vraiment quand tu te retrouves au niveau international que ça devient plus cher parce que, la plupart du temps, ce sont les athlètes qui paient les coûts. »

La fédération canadienne paie habituellement pour le voyage de certains athlètes, mais ce sont seulement ceux qui se trouvent au sommet de l’élite qui ont ce privilège. Les autres représentants peuvent quand même participer à l’épreuve s’ils ont atteint les standards, mais doivent couvrir leurs dépenses eux-mêmes.

Comme elle aspire aux Jeux olympiques, Tali devait prendre part à six compétitions internationales sur une période de 18 mois dans le cadre du processus de qualification, lequel se poursuit encore jusqu’en avril. Au total, elle estime à plus de 15 000 $ le montant qu’elle a dû débourser pour son sport en 2019, comprenant des voyages pour des compétitions au Guatemala, en Thaïlande et en Suisse notamment, lesquelles comptaient toutes pour les qualifications olympiques. Elle a aussi fait un camp d’entraînement à Miami.

« Et je suis étudiante en même temps, j’ai un appartement à payer et je paie ma cotisation dans deux clubs différents pour pouvoir m’entraîner la semaine aussi. Avec un horaire d’université à temps plein, en plus des entraînements et des compétitions, ce n’est vraiment pas possible pour moi de travailler », souligne la représentante du club La Machine Rouge.

Dans un sport amateur, où les athlètes ne sont pas payés en fonction des résultats obtenus au terme d’une compétition, comment y arrive-t-elle? Avec des bourses principalement.

Dans les dernières années, elle recevait bon an mal an près de 35 000 $ de cette manière. Sa principale source de revenus provenait de Sport Canada (28 000 $) et à cela s’ajoutaient d’autres bourses, dont un 4000 $ de Saputo et la fondation de l’athlète d’excellence. Pour avoir ces montants, il faut toutefois être dans les meilleurs de son sport. D’autres athlètes du club maskoutain, qui ont les standards pour des épreuves internationales, n’ont donc pas nécessairement accès à ce genre de financement et doivent débourser l’argent de leur poche s’ils souhaitent participer à ces rendez-vous.

« En haltéro, on a le programme d’aide aux athlètes et quand tu es dans les six meilleurs athlètes au Canada, hommes et femmes confondus, tu as le droit à l’aide de Sport Canada », explique Tali.

L’équipe nationale peut pourtant compter jusqu’à 20 personnes, dix hommes et dix femmes, ajoute-t-elle. « Mais pour le financement de Sport Canada, on a seulement six cartes au total. Les 14 autres personnes de l’équipe nationale n’ont rien. C’est zéro. »

Ses excellents résultats lui ont permis de recevoir cette aide importante au cours des trois dernières années. Mais elle ne l’obtiendra pas en 2020 à moins, seulement, qu’elle se qualifie pour les Jeux olympiques.

« Il y a eu des changements d’administration au niveau de la fédération canadienne [d’haltérophilie] et ça a pris un délai pour que tout s’enclenche avec les nouveaux comptes de banque. Ils nous ont envoyé le document avec les compétitions qui allaient compter pour le financement de Sport Canada seulement en septembre 2019. Je pensais que les compétitions internationales que je faisais depuis le début de l’année allaient compter [comme c’était le cas avant], mais dans ce document, on nous disait que tout ce qu’on avait fait avant septembre, ça ne valait rien. Ça comptait pour les qualifications olympiques, mais pas pour le financement. Il restait juste le Championnat du monde et j’ai fait une contre-performance. […] On te le dit deux semaines avant la compétition et, si tu te plantes, tu n’auras pas de financement. Ils ne donnaient pas beaucoup de chance aux athlètes de se reprendre s’ils connaissaient une mauvaise journée », se désole Tali.

Voyant bien que ce généreux montant ne lui serait pas octroyé en 2020, elle a lancé à l’automne, comme Valérie Tanguay, une campagne GoFundMe en vue de sa participation à une compétition en Suisse, nécessaire dans son processus de qualification olympique. Cela lui a donné le coup de pouce nécessaire pour pouvoir garder suffisamment d’argent pour ses dernières épreuves à disputer, dont une compétition à Rome à laquelle elle a pris part la semaine dernière.

Dans les dernières semaines, elle a appris qu’elle pourra toutefois mettre la main sur ce financement à nouveau si elle se qualifie pour Tokyo. « Un règlement oblige Sport Canada à donner un brevet senior à un athlète qui est sélectionné pour les Jeux olympiques et qui n’en a pas », souligne-t-elle.

Pour le moment, son rêve olympique semble toujours possible. Même si elle n’est pas parmi les deux favorites pour représenter le Canada, il lui est encore permis de garder espoir jusqu’à la fin selon les derniers classements dévoilés.

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