22 décembre 2022 - 07:00
Le dernier Noël de monsieur Elzéard
Par: Le Courrier
Chaque 24 décembre, à la brunante, monsieur Elzéard s’assoyait sur sa berceuse de la cuisine, près de la fenêtre. De sa fenêtre, il voyait les gens passer de maison en maison pour se souhaiter de joyeuses fêtes à l’occasion du solstice d’hiver, le 25 décembre de chaque année.

Les plus jeunes ne disaient pas les mots « joyeux Noël »; ils avaient été remplacés par les mots « joyeuses fêtes ». On voulait que plus personne ne se sente exclu de quelque fête que ce soit. On parlait d’un monde inclusif. On oubliait ceux qui avaient connu l’ancien monde.

Très jeune, monsieur Elzéard avait connu cet ancien monde. Avec les années, cet ancien monde avait disparu de sa mémoire. Le seul souvenir qu’il lui restait était cette nuit merveilleuse qu’il avait vécue tout jeune enfant. C’était une nuit d’hiver. Sa mère l’avait réveillé durant la nuit et l’avait amené à l’église du village. Il ne savait pas pourquoi les lumières de l’église étaient allumées. Il entendait de la musique, elle venait de l’église. Beaucoup de personnes entraient dans l’église cette nuit-là. Lui aussi entra avec sa mère. Que s’était-il passé après? Il ne s’en souvenait plus trop. Il se souvenait seulement que tout était merveilleux.

Une telle nuit ne revint plus jamais. Dans les mois qui suivirent, les murs de l’église tombèrent sous les pics des démolisseurs. Les pierres, ensevelies sous la neige, étaient le seul souvenir de cette nuit merveilleuse que monsieur Elzéard avait vécue. Les années passèrent. Le merveilleux, le mystérieux n’était plus dans le langage des gens.

Depuis quelques années, chaque 24 décembre, monsieur Elzéard répétait le même geste. De sa fenêtre, il regardait la neige habiller les pierres de l’ancienne église du village, comme si elle voulait protéger les pierres du froid de l’hiver.

Monsieur Elzéard fut surpris de voir une jeune enfant se diriger vers sa maison. C’était une jeune enfant qui n’était pas du village. Arrivée près de la porte, monsieur Elzéard lui ouvrit, tout en se demandant pourquoi elle venait à la brunante chez lui.

La jeune enfant entra dans la maison et sans attendre dit : « Monsieur Elzéard, je viens vous souhaiter les bons souhaits du solstice d’hiver. » Le vieil homme ne comprenait pas trop ce qui se passait ni pourquoi une jeune enfant venait lui offrir de tels souhaits.

Monsieur Elzéard retourna s’asseoir près de la fenêtre. La jeune enfant accompagna le vieil homme. Elle vit sur le bord de la fenêtre un livre défraîchi. Elle demanda à monsieur Elzéard si elle pouvait le regarder. Elle se demandait pourquoi ce livre traînait sur le bord de la fenêtre, si proche de sa chaise berceuse. Dans le village, on disait que le vieil homme ne savait pas lire. Pourquoi ce livre si proche de lui, se demandait la jeune enfant.

L’enfant ouvrit le livre et lut à haute voix : « Il y avait dans la même région des bergers qui gardaient leurs troupeaux durant les veilles de la nuit. L’ange du Seigneur se tint près d’eux… » (Luc 2, 8) L’enfant s’arrêta de lire. Elle voyait des larmes couler sur les joues du vieil homme. Elle se demandait pourquoi le vieil homme pleurait. Elle posa la question : « Pourquoi, monsieur Elzéard, pleurez-vous? » Le vieil homme répondit : « Enfant, ma grand-mère me lisait cette histoire. Après la lecture de cette histoire, il y avait une grande fête dans la maison. Quand elle est partie, je n’ai plus entendu cette histoire. Ces derniers temps, chaque année, je reviens à cette fenêtre pour me rappeler ces moments heureux. »

Des larmes coulaient sur les joues de la jeune enfant. Elle demanda à monsieur Elzéard si elle pouvait apporter le livre pour faire entendre cette histoire dont ni elle ni ses amis n’avaient jamais entendu parler.

Le vieillard répondit à l’enfant : « Apporte-le. Ma grand-mère nous disait, quand elle avait fini la lecture cette histoire : “C’était le commencement d’une grande et belle grande histoire qui a changé le monde.” Je ne sais pas pourquoi on ne raconte plus cette histoire. Les gens s’appuient sur du visible pour croire et espérer. »

La jeune enfant s’approcha du vieil homme et l’embrassa. Elle lui promit de lire à ses amis cette histoire que sa grand-mère lui lisait lorsqu’il était enfant.

Lionel Émard, prêtre

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