23 février 2023 - 07:00
Usine de biométhanisation
Le digestat, la matière dont plus personne ne veut
Par: Sarah-Eve Charland
La Ville de Saint-Hyacinthe n’arrive plus à disposer du digestat, produit à l’usine de biométhanisation, auprès d’agriculteurs de la région. La matière entreposée au Centre de valorisation des matières organiques sera transportée à Saint-Henri-de-Lévis en attendant de trouver preneur. Photo Robert Gosselin | Le Courrier ©

La Ville de Saint-Hyacinthe n’arrive plus à disposer du digestat, produit à l’usine de biométhanisation, auprès d’agriculteurs de la région. La matière entreposée au Centre de valorisation des matières organiques sera transportée à Saint-Henri-de-Lévis en attendant de trouver preneur. Photo Robert Gosselin | Le Courrier ©

Saint-Hyacinthe ne sait plus quoi faire de son digestat. Deux reportages diffusés à Radio-Canada l’automne dernier qui remettaient en question l’utilisation de digestat comme fertilisant dans les champs ont poussé de nombreux agriculteurs à annuler leurs commandes.

Au point où la Ville de Saint-Hyacinthe a dû payer 171 246 $ pour disposer des 2000 tonnes qui se sont accumulées sur le site du Centre de valorisation des matières organiques situé sur l’avenue Émilien-Letarte dans le parc industriel Théo-Phénix.

Cette solution est temporaire et aura pour durée quatre semaines. Le contrat donné à Englobe Environnement pour la valorisation du digestat et le contrat donné à JMV Environnement pour le transport de la matière ont été majorés. En temps normal, il en coûte à la Ville 13,75 $ par tonne métrique pour disposer du digestat. Du 16 février au 30 avril, le prix atteint 37,54 $ par tonne métrique.

Les émissions La semaine verte et Enquête ont diffusé des reportages les 28 novembre et 1er décembre 2022. On y rapportait que des agriculteurs américains avaient tout perdu après avoir eu recours à des boues municipales, où se trouvaient des PFAS dits contaminants éternels, pour fertiliser leurs champs. Selon le site de Santé Canada, les PFAS sont des substances chimiques synthétiques qui peuvent être associées, notamment, à des effets sur la reproduction, le développement, le foie, les reins et le système immunitaire.

Les journalistes de Radio-Canada avaient également visité l’usine de biométhanisation de Saint-Hyacinthe et démontré la présence de matières de plastique dans le digestat. L’usine maskoutaine traite les boues municipales et des matières résiduelles provenant d’usines agroalimentaires ou d’épiceries.

Selon la directrice générale de la Ville de Saint-Hyacinthe, Chantal Frigon, ces reportages ont causé de grands torts à la Ville en omettant certaines informations importantes. Entre autres, l’usine utilise un système d’épuration qui retire le plastique de la matière. Il permet aussi de réduire à moins de 1 % la proportion de matières non organiques.

« Ça laisse surtout penser à tort que, comme aux États-Unis, notre digestat pourrait contenir des PFAS. Ç’a créé un climat de peur chez les agriculteurs. On sait en tout point que la composition de notre digestat ne contient pas ces matières-là. […] Il y a 10-15 jours, on était encore dans l’espoir de disposer, peut-être moins rapidement, de notre digestat et de développer d’autres partenariats. Depuis, 11 récepteurs ont annulé leur commande. Même si on sentait qu’il y avait une baisse, la claque au visage s’est fait sentir en début de semaine passée », affirme Mme Frigon.

Englobe Environnement entreposera le digestat sur un de ses sites à Saint-Henri-de-Lévis, soit à plus de 200 km de l’usine de biométhanisation maskoutaine, en espérant trouver de nouveaux récepteurs. « On est en train de se nuire en tant que société. On va transporter ces matières revalorisables à Saint-Henri-de-Lévis. Ce qu’on économise en gaz à effet de serre à l’usine de biométhanisation va être créé en transport. C’est impensable pour nous, ce qui est en train de se passer », déplore Mme Frigon.

L’autre option, c’est l’enfouissement. « C’est épouvantable. C’est de se dire qu’on retourne 20 ans en arrière, poursuit la directrice générale de la Ville. C’est impensable pour nous. […] On ne peut pas arrêter de recevoir des intrants parce qu’on est liés par contrat. Ne pas prendre d’intrants, c’est ne plus produire de gaz. Tout est relié. C’est une économie circulaire. Quand un élément ne fonctionne pas… »

Les contrats de valorisation et de transport ont donc été modifiés pour une période de quatre semaines, laissant une courte période pour trouver des solutions à ce problème. Cette semaine, la Ville invitait des agriculteurs et des agronomes ainsi que Réseau Environnement à une « opération séduction » afin de les rassurer sur les méthodes utilisées. Elle rencontrera aussi les représentants de l’UPA Montérégie à la fin du mois.

Selon la Ville de Saint-Hyacinthe, Englobe Environnement a entamé des mesures légales. « On n’exclut pas de le faire, mais on n’en est pas là. On a très clairement subi un préjudice. Avant, on était dans la diffamation. Ce soir [en séance du conseil], il y a un préjudice réel lié à des informations incomplètes », commente Mme Frigon.

Les prévisions financières ne tiennent plus

À l’adoption du budget de la Ville en décembre, tous les espoirs étaient permis d’atteindre la rentabilité en 2023 pour la filière de biométhanisation. Saint-Hyacinthe prévoyait une augmentation des revenus pour atteindre 6 196 993 $. Autant du côté des intrants organiques que du côté du biométhane, la Ville prévoyait un accroissement des revenus. Du côté des dépenses, elles étaient estimées à 2 817 117 $, une augmentation de 8,5 % causée par les honoraires des agronomes pour la valorisation du digestat et les frais d’entretien et de réparation d’équipement. Ce budget ne prend pas en considération la nouvelle réalité selon laquelle la disposition du digestat entraînera de plus grandes dépenses.

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