Vous qui plaidez pour une démocratie plus juste et représentative, comment pouvez-vous vous opposer à l’incarnation la plus pure de la démocratie qu’est le référendum? Le peuple n’est pas trop idiot pour saisir cet enjeu et y répondre rationnellement. Par ailleurs, c’est tout son avenir collectif qui se trouve ébranlé par la promesse du changement de scrutin, qui, selon le politologue Christian Dufour, est une folie qui risque de causer une régression importante pour notre peuple.
Dans son essai Le pouvoir québécois menacé, paru il y a quelques mois, Dufour s’explique en étayant un argumentaire solide en faveur de notre mode de scrutin actuel. Tout d’abord, il nous montre que celui-ci permet d’élire des gouvernements forts, qui ont tous les leviers nécessaires pour faire face aux défis immenses de notre temps.
Dans le contexte géopolitique qu’est le nôtre, nous sommes encerclés par des États aux gouvernements forts. Ainsi, que deviendrait notre pouvoir de négociation face à nos voisins si nous faisons exprès de nous affaiblir? Face aux confrontations américaines envers notre économie, nous devons garder un rapport de force, d’autant plus qu’à l’ère de l’hypermondialisation, où nos fleurons du Québec inc. se trouvent sérieusement en danger, seul un État fort permet de les défendre.
Ensuite, Dufour nous fait observer que la proportionnelle « mixte compensatoire » proposée par la réforme a le défaut de créer deux catégories de députés : ceux qui doivent trimer dur pour mener une élection, et ceux, sur la liste régionale, « qui auront été dispensés de cette corvée » (p. 86). L’auteur nous fait remarquer que ces derniers hommes politiques n’auront aucune crédibilité pour représenter l’ensemble de la population (ce qu’est la noble politique), car ils n’auront été élus qu’en fonction d’un choix de parti, et non d’un candidat.
La proportionnelle renforce donc la partisanerie. Après, comme on peut le déceler dans de nombreux pays pourvus de la proportionnelle, ces députés non élus profitent de la liste régionale pour ne jamais avoir à faire face à la gronde populaire contre leur personne : « ils pourrissent littéralement sur place », nous dit Dufour (p. 87).
Tout comme moi, Mme Demers, j’imagine que vous aimez suivre la soirée électorale. De mon côté, je la préfère encore plus lorsque j’y apprends qui formera le nouveau gouvernement. Or, dans un mode de scrutin proportionnel, tel ne sera pas le cas. En Allemagne, où le système fonctionne selon la réforme qui nous est proposée actuellement, il peut prendre plusieurs mois avant que les partis réussissent à former une coalition gouvernementale. Et, comme vous devez le savoir, les négociations entre les partis pour former cette coalition se font sans la consultation du peuple et en totale absence de transparence. Encore une fois, c’est la partisanerie qui gagne un point.
Un autre argument extrêmement important qu’apporte Christian Dufour est que la proportionnelle favorise l’émergence de petits partis, souvent à tendance extrémiste. En Belgique, par exemple, la gangrène islamiste est telle que ce pays abrite en son parlement des députés issus du parti ISLAM, un regroupement souhaitant implanter la charia au pays de Tintin et revendiquant entre autres d’« ouvrir les droits à la polygamie, [d’]interdire les tatouages et les piercings ou encore [de] séparer hommes et femmes dans les transports en commun ».
Par ailleurs, je subodore que l’élection de députés du valeureux Parti populaire du Canada de Maxime Bernier vous aurait beaucoup plu. Pour couronner le tout, avec la proportionnelle, les dernières élections fédérales auraient fait élire comme premier ministre notre favori : le charismatique Andrew Scheer.
Blague à part, dans le contexte québécois, Loïc Tassé, du Journal de Montréal, a bien fait remarquer que la proportionnelle ouvrirait la porte à l’émergence de deux nouveaux partis : les islamistes (qui existent, bien que la gauche régressiste refuse de l’admettre) et les anglophones canadianistes, deux groupes fondamentalement antinationalistes et révoquant la laïcité de l’État. En effet, alors que les anglophones se concentrent surtout à Montréal et font élire des députés libéraux à des forces d’appui soviétiques (60-80 %), sous la proportionnelle, ils gagneront encore plus de pouvoir grâce à la liste régionale.
Terminons avec deux derniers arguments avancés par Christian Dufour. Primo, il a été prouvé par le professeur André Blais du département de Science politique de l’UdeM que la proportionnelle ne fait que hausser le taux de participation très légèrement et que les électeurs ne se trouvent pas plus satisfaits des résultats. Secundo, le mode de scrutin actuel est facilement compréhensible pour le commun du mortel, alors que la proportionnelle comporte un artifice de sophistication dont seuls les experts pourront réussir à maîtriser la signification et les enjeux.
En conclusion, je réaffirme que le premier ministre du Québec fait un choix très sage en consultant son peuple sur une réforme qui est loin de faire l’unanimité et qui risque de cadenasser l’avenir politique du Québec.
Philippe Lorange, Saint-Hyacinthe