27 mars 2014 - 00:00
Le roi Midas et l’or du schiste
Par: Le Courrier


Tout le monde connaît l’histoire de Midas, le roi de Phrygie. Selon son cupide souhait, pour avoir secouru Dionysos, il reçut le don de transformer en or tout ce qu’il touchait. Vite, en or une coupe. Des draperies. Des sièges. Une table. Tout en or massif. Qui dit mieux?

Pour lui montrer sa nouvelle puissance, son opulence dorénavant infinie, Midas invite sa fille pour partager un festin. Devant ses yeux ébahis, vin et victuailles sont aussi rapidement transformés en or. Grisé par la démonstration de tant de puissance, Midas enserre sa propre fille… Funeste! L’histoire raconte que le roi put se défaire de son don maudit en se baignant dans le Pactole qui, depuis, roule sur son rivage un sable d’une couleur dorée…Comme Midas, tout le monde rêve de posséder plus de richesses. Dans quel but? Pour le plaisir, bien sûr. Aussi, croit-on, pour se garantir de souffrir moins, peut-être même mettre à l’abri du mal ses proches. Mais jusqu’où faut-il réaliser ce rêve du plaisir? Jusqu’où l’absence de souffrance peut-elle être assurée? Avec l’annonce récente du gouvernement Marois d’une exploration-exploitation du schiste sur Anticosti, en « partenariat » avec des compagnies privées, le garde-fou politique nécessaire à la défense du bien commun et à la promotion du soin qui lui est dû vient de disparaître.Intéressées par leurs profits corporatifs, toujours obligées de complaire à très court terme à leurs tout-puissants actionnaires, les pétrolières ont procédé ces derniers mois à une offensive médiatique sans précédent au Québec. Et toute raison politique semble emportée dans la tourmente du rêve pétrolier, ou gazier… Au 19 janvier, aucun expert qui n’est pas à la solde de l’une ou l’autre des compagnies pétrolières n’avait daigné répondre à l’« Appel d’offres » public du Ministère des Ressources naturelles pour évaluer le potentiel économique des hydrocarbures en milieux marins du Banc des Américains et dans le secteur Old Harry. La ville de Gaspé n’en appellera pas du jugement rendu le 10 février par le juge Moulin dans l’affaire qui l’opposait à Pétrolia, pour protéger ses prises d’eau potable. Et maintenant Anticosti…Gaz, huile ou pétrole de schiste? Le gouvernement Marois s’est mis à l’école rhétorique des compagnies gazières, comme si la question était ici d’abord de nature financière. Usant de la même machine à images publicitaires, le gouvernement joue maintenant sur les mots, comme si les mots avaient le pouvoir magique de faire disparaître tant les dangers potentiels que les catastrophes avérées des techniques de fracturation utilisées dans tous les cas d’exploration et d’exploitation du schiste. La forme de l’hydrocarbure éventuellement extrait importe peu, il faudra toujours fracturer la roche-mère (soit avec l’eau et un cocktail toxique, soit avec du fluoropropane, soit en produisant des arcs électriques…), c’est-à-dire fragiliser la croûte terrestre, la rendre instable et favoriser la nécessaire migration des substances toxiques ou nocives injectées ou emprisonnées depuis des millénaires vers les sources d’eau. Pour nous, humains, et pour les différentes espèces animales et végétales, nous tous qui vivons dans un environnement « mondialisé », nous qui partageons un milieu de vie, l’eau sera-t-elle en quantité et en qualité suffisantes aujourd’hui, demain et pour les enfants de nos enfants? La question du plaisir et de la souffrance prend alors un tout autre tour. Surtout elle ne trouve plus réponse à la bourse ou dans un budget électoraliste…Dans la mythologie contemporaine portée par James Bond, Goldfinger avait planifié de rendre inutilisables les stocks d’or américains en les irradiant. Bien sûr, nous ne prêtons pas une si mauvaise intention aux actionnaires des pétrolières quant à la condamnation des sources d’eau potable. Pas davantage au gouvernement, quelle qu’en soit la couleur du parti d’ailleurs. Et pourtant, notamment dans le dossier d’Anticosti, par manque de soins des uns et des autres, privément et collectivement aveuglés par la frénésie de l’or, n’est-ce pas la disponibilité de l’eau potable et la qualité des eaux du Golf que nous devrons tous pleurer, après coup, comme Midas? La véritable prospérité, ce souffle qui nous pousse en avant, doit être conçue à partir de la diminution de notre dépendance aux hydrocarbures. Pouvons-nous nous permettre le luxe de nous tromper en pareil sujet vital?

Hugues BonenfantSaint-Valérien

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