6 juin 2024 - 03:00
L’éléphant dans la pièce que personne ne veut voir
Par: Le Courrier
Sujet tabou entre tous, véritable éléphant dans la pièce que personne ne veut voir, le monopole syndical de l’UPA a fait l’objet d’un surprenant débat lors du conseil national de Québec solidaire (QS) à Saguenay.

Surprenant parce que c’était la première fois depuis l’enterrement de première classe du rapport Pronovost sur l’avenir de l’agriculture, en 2008, pour crime de lèse-majesté contre ce fameux monopole, que la question du pluralisme syndical en agriculture retenait l’attention de la sorte. Surprenant aussi parce que ce fut le fait d’un parti politique réputé « montréaliste » et sans véritable racine dans le monde rural.

Les militants ont choisi de justesse de maintenir l’opposition de QS à ce monopole, mais on sent bien que ce n’est que partie remise.

Qu’en est-il de ce monopole syndical 52 ans après son instauration par la Loi sur les producteurs agricoles? Force progressiste, rempart essentiel pour la défense des agriculteurs et agricultrices, comme l’ont affirmé des militants de QS, ou rempart du statu quo et chape de plomb sur tout changement à nos programmes et politiques agricoles, comme d’autres l’ont crié haut et fort?

Disons d’abord qu’il s’agit d’une situation unique sur la planète, du moins dans le monde dit démocratique. Nulle part ailleurs, le droit d’association défini par la Déclaration universelle des droits de l’homme des Nations unies n’est limité de la sorte. Partout ailleurs, deux ou trois associations agricoles reflètent la diversité des intérêts, régions et modes de production, sans empêcher un syndicat plus fort que les autres de s’imposer sur les enjeux d’intérêt national.

Disons également qu’au début des années 1970, lorsque ce monopole syndical a été accordé par la loi, il était sans doute nécessaire. C’était l’époque de la grande modernisation de notre agriculture, avec l’avènement de la gestion de l’offre, des programmes mixtes de mise en marché ainsi que des grands mécanismes de soutien, comme l’assurance stabilisation des revenus et la protection du territoire agricole. On peut croire que ces grandes réformes n’auraient pas été possibles sans l’appui d’un syndicat unique tant le monde agricole était divisé sur la plupart de ces questions.

Le problème est que ces politiques et programmes n’ont pas évolué, pour l’essentiel, depuis une cinquantaine d’années, alors que la réalité de l’agriculture n’a plus grand-chose à voir avec ce qu’elle était dans les années 1970 et 1980. Notre agriculture s’est à la fois énormément spécialisée et diversifiée. La technologie, les marchés et nos politiques ont mené à la création d’entreprises toujours plus grosses, au détriment de la ferme moyenne, pendant que de plus en plus de jeunes, attirés par le bio et des modèles différents, cognent à la porte sans toujours pouvoir entrer. Il est clair que le syndicat unique, nécessaire dans le bon vieux temps, a aujourd’hui tout d’un corset qui craque de partout.

Le rapport Pronovost, tabletté il y a 16 ans à la suite du « niet » de l’UPA, préconisait déjà une refonte majeure de nos politiques et programmes agricoles, à commencer par l’instauration d’un pluralisme syndical et d’un soutien universel aux fermes, indépendamment de leur taille, de leur production ou de leur région. Il fallait, disait le rapport, ouvrir les fenêtres de la forteresse agricole sur un vent de diversité, d’innovation et de fraîcheur.

Soyons clairs : l’UPA est une grande institution. Elle a joué un rôle que l’on peut qualifier de civilisateur, comme l’a fait l’Église catholique dans ses bonnes années. Condamner son monopole n’est pas condamner l’UPA, ce que son leadership semble incapable d’admettre. À sa défense, disons également que si elle occupe autant d’espace dans le paysage agricole, c’est que l’État s’en est beaucoup retiré d’une réingénierie à l’autre.

Mais il y a une cause plus profonde à la toute-puissance de l’UPA : l’argent. Peu de gens le réalisent, mais nos lois agricoles confèrent à l’UPA un quasi-droit de « taxation sans représentation » en raison de sa mainmise, par l’entremise de ses fédérations spécialisées, sur les programmes mixtes de mise en marché. Chaque produit qui passe par ce mécanisme – un lapin, une douzaine d’œufs ou un litre de lait – génère une redevance pour l’administration du programme mixte, la publicité et autres fonctions utiles et légitimes.

Cela représente des sommes colossales pour lesquelles l’UPA a peu de comptes à rendre et qui servent d’assise à la grande influence qu’elle exerce d’un bout à l’autre du spectre de nos institutions agricoles, du ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation (MAPAQ) aux centres de recherche, en passant par nos universités. Cette influence n’est pas nécessairement mauvaise; le problème, c’est qu’elle n’a pas de contrepoids, pas même celui de l’État, terrorisé à l’idée de voir les tracteurs descendre dans la rue s’il ose mécontenter l’UPA.

Le conseil national de QS l’a montré : un débat sur le monopole syndical de l’UPA divise énormément. Il est difficile, il demande du courage, mais il est plus nécessaire que jamais.

Michel Saint-Pierre et Guy Debailleul, coprésidents de l’Institut Jean-Garon

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