1 septembre 2022 - 07:00
L’engloutissement national
Par: Le Courrier
Le mercredi 17 août, Statistique Canada dévoilait les données compilées par le recensement canadien de 2021 au sujet des langues. Le recensement est un exercice qui nous permet d’avoir un portrait exhaustif de la situation linguistique au Québec et au Canada. Le dernier, qui avait eu lieu en 2016, révélait que le déclin du français se confirmait et laissait envisager aux démographes un avenir sombre. Quid de celui de 2021? Les chiffres sont plus qu’inquiétants.

Lorsqu’on rassemble l’ensemble des indicateurs, des provinces canadiennes et des régions du Québec, le français dégringole. Tout d’abord, oubliez les Canadiens français hors Québec : leur assimilation est en voie de parachèvement d’ici les prochaines années. L’Ontario français n’est plus qu’une histoire du passé, et les luttes admirables des Franco-Ontariens ne seront bientôt rangées que dans la catégorie des manuels d’histoire.

En vingt ans, le français comme première langue officielle parlée en Ontario est passé de 4,7 % à 3,4 %. Qu’en sera-t-il dans les vingt prochaines années? Plus à l’ouest, la minorité francophone se réduit à des poussières. À Terre-Neuve, les francophones ne forment même pas 0,5 % de la population. Le Nouveau-Brunswick? Certes, la minorité acadienne demeure, mais sa chute est renversante. En seulement cinq ans, le français comme première langue officielle parlée est passé de 31,6 % à 30 %. Alors qu’il était encore commun, il y a quelques années, de penser que le tiers de la population néo-brunswickoise était francophone, nous nous dirigeons de plus en plus vers le quart, puis le cinquième, jusqu’à l’effacement définitif.

Qu’en est-il du Québec, ce « foyer lumineux de l’Amérique française »? Beaucoup de Québécois s’imaginent que l’anglais se cantonne à Montréal et à quelques villages de l’Estrie. Mais voyons-y de plus près.

Dans l’ensemble du Québec, et ce, dans toutes les régions excepté celle de la Gaspésie-les-Îles-de-la-Madeleine, le français recule. Le français parlé à la maison est passé de 79 % à 77,5 % en cinq ans, alors que le français langue maternelle a chuté de 77,1 % à 74,8 %. L’anglais comme première langue officielle parlée, quant à lui, est passé de 12 % à 13 %. Le français recule donc au profit de l’anglais.

Les baisses les plus marquées se retrouvent en Outaouais, à Laval, à Montréal et dans le Nord-du-Québec. En cinq ans, Gatineau compte une diminution de 3000 locuteurs francophones unilingues et une hausse de près de 5000 locuteurs anglophones unilingues. Le rapport de force se situe donc clairement du côté anglophone.

Qu’arrive-t-il à Montréal? Le français continue de chuter au profit de l’anglais. Ce n’est plus seulement le West Island et les environs du Golden Mile Square qui sont anglophones. Des quartiers historiquement peuplés par une nette majorité francophone s’anglicisent très rapidement. C’est le cas du Plateau Mont-Royal, de Villeray, de Saint-Henri, d’Hochelaga et de plusieurs autres. Dans l’entièreté du centre-ville de Montréal, l’anglais règne en roi et maître.

La ville de Laval a quant à elle subi une révolution démographique en l’espace d’une quinzaine d’années qui en a fait une extension du West Island. Il est désormais de plus en plus difficile d’être servi en français au Carrefour Laval et sur l’ensemble de l’île. L’emprise de l’anglais a aussi un effet concret sur la carte politique. De plus en plus, Laval vote libéral, parti très appuyé par les anglophones et les nouveaux arrivants assimilés à l’anglais. Pourtant, il n’y a pas encore si longtemps, les comtés de Laval avaient des comportements électoraux semblables à ceux du Québec hors Montréal. Ce n’est plus le cas, en raison de la chute dramatique du fait français.

Le Québécois optimiste qui regarde ce portrait pourrait se dire : toutes ces affaires concernent le Grand Montréal, et certainement pas Saint-Hyacinthe ou Drummondville. Certes, même si le français décline dans toutes les régions, on ne peut pas dire que l’assimilation du Centre-du-Québec ou de la Mauricie est pour demain matin. Mais le jour où le Grand Montréal tombera absolument, ce sera le cœur battant du Québec français qui sera mort.

Car une langue ne saurait se maintenir dans le temps si elle ne permet pas à ses citoyens de monter l’échelle sociale. Dans l’histoire, nous avons pu le constater avec les vagues d’émigration canadienne-française en Nouvelle-Angleterre à la fin du XIXe siècle et au début du XXe, qui ont d’abord fait naître des « petits Canada » au sein des États-Unis. Plongés dans un pays où l’anglais est une condition sine qua non à la réussite sociale, les enfants de ces Canadiens français se sont assimilés très rapidement, ne voyant pas l’intérêt de conserver une langue qui entretient la misère. Les Boisvert sont devenus des Greenwood, les Bélanger des Baker, les Lapierre des Stone, et ainsi de suite.

Or, ici même au Québec, nous savons depuis quelques semaines qu’un anglophone unilingue gagne en moyenne un meilleur revenu qu’un francophone unilingue. Nous savons aussi, grâce à Michael Rousseau, que n’importe qui peut vivre et réussir sa carrière au Québec sans avoir à prononcer un seul mot français. De plus en plus, dans le monde des grandes entreprises et des banques, le français est chassé au profit de l’anglais. La vieille mentalité de colonisé selon laquelle « la business, ça se passe en anglais » s’impose comme avant la Révolution tranquille.

En fait, nous retournons à cet âge du Canada français où les francophones étaient dépossédés de tout pouvoir et où les Anglais étaient les vrais boss. La seule différence, c’est qu’aujourd’hui, ce sont nos propres Québécois qui s’assimilent à l’anglais avec parfaite désinvolture.

Face à ce portrait, que fut la réaction de nos élus qui entrent tout juste en campagne électorale? Dominique Anglade ne se dit pas inquiète, Gabriel Nadeau-Dubois et Éric Duhaime ignorent la situation. Voilà des femmes et des hommes qui n’ont pas exactement le sens du patriotisme. Du côté des « bleus », Paul St-Pierre Plamondon a dénoncé la hausse faramineuse des seuils d’immigration sous Jean Charest, alors que François Legault et Simon Jolin-Barrette se sont dits « inquiets ».

De toute cette classe politique, c’est le chef du Parti québécois qui pointe le vrai problème : nous recevons une immigration beaucoup trop importante. Alors que François Legault affirmait en 2018 qu’il souhaitait en « prendre moins, mais en prendre soin », les chiffres démontrent au contraire qu’il a accueilli encore plus d’immigrants que sous les libéraux, alors que nous ne possédons pas les leviers pour assurer l’intégration en français de dizaines de milliers de nouvelles personnes.

Lors de cette campagne électorale, la question du français et de sa chute plus qu’inquiétante doit être au centre des débats. Nous n’avons pas le luxe de nous perdre en querelles de second ordre. Le Québec subit un engloutissement démographique qui le condamne progressivement à la louisianisation. C’était le vœu de Lord Durham, et il est en train de se concrétiser.

Philippe Lorange, Saint-Hyacinthe

image