La Ville n’avait pas du tout aimé ce que la journaliste avait retenu de sa visite à l’usine de biométhanisation ainsi que la « place démesurée » accordée à la présence de plastiques dans le digestat envoyé aux producteurs pour qu’ils l’utilisent comme fertilisant naturel sur leurs sols. Sa liste de récriminations était longue comme le bras à l’égard du travail journalistique et des perceptions découlant des deux reportages : musique intense, amalgames trompeurs, impartialité, traitement de l’information troublant, inexactitude, fausse représentation, instauration délibérée d’un climat de peur et de panique, etc. Le bureau de l’ombudsman a reçu à peine six plaintes contre ces deux reportages, donc celle d’un partenaire de la Ville pour la disposition du digestat, la société Englobe Environnement.
L’ombudsman a analysé ces plaintes, décortiqué les reportages et interrogé la journaliste et son rédacteur en chef. Il n’a retenu aucun grief et émis aucun blâme. Aucun comme dans zéro plus une barre.
« Ni l’un ni l’autre des reportages visés par ces plaintes ne disent qu’il faut bannir l’épandage de biosolides, mentionne avec justesse l’ombudsman. Ils informent le public à propos d’une pratique aux vertus écologiques reconnues, tout en révélant un risque pour la santé en raison de la présence potentielle de substances dont la réglementation est déficiente. En révélant ces informations, La Semaine verte et Enquête ont agi dans l’intérêt public. Les mesures annoncées dans les semaines et les mois qui ont suivi en attestent éloquemment. »
En réaction à ces reportages, Québec a entre autres annoncé qu’il resserrera la réglementation sur l’épandage de biosolides dans les champs et a imposé un moratoire temporaire sur l’épandage de biosolides en provenance des États-Unis.
Certains diront ou penseront peut-être que la décision de l’ombudsman était prévisible et qu’il n’aurait pu en être autrement puisqu’il est payé par Radio-Canada pour juger du travail des gens de sa propre boîte. Il faut bien mal connaître son rôle et l’historique de ses décisions pour penser ainsi. Son indépendance est inscrite dans son mandat et des gens de l’extérieur de Radio-Canada participent à sa sélection. Il faut cependant savoir que l’ombudsman n’a qu’un simple pouvoir moral. S’il avait décidé qu’un rectificatif s’imposait, Radio-Canada aurait pu ne pas en tenir compte. Pour être passé au travers du dossier et de son rapport de 40 pages, je peux vous dire que son analyse a été exemplaire. Une plainte au conseil de presse n’aurait pas débouché sur une autre conclusion et n’aurait pas été plus étoffée.
Je retiens tout particulièrement un passage de la décision de Pierre Champoux qu’il est bon de rappeler à toutes les organisations publiques et privées de Saint-Hyacinthe. « Le travail des journalistes doit se faire à l’abri des pressions qui s’activent quotidiennement pour influencer leurs choix et leurs propos. Un reportage n’est pas un communiqué, un journaliste n’est pas un relationniste. Ainsi, en fouillant une histoire en apparence (presque) anodine, il arrive que sa curiosité l’amène à faire des découvertes susceptibles de changer le récit, voire d’inspirer d’autres reportages. »
Je ne connais pas les intentions de la Ville, mais je serais très surpris qu’elle décide de pousser cette affaire plus loin et d’entreprendre des recours en justice pour les dommages qui ont découlé des reportages. Elle a plutôt tout intérêt à continuer d’améliorer ses propres pratiques et procédés et à collaborer étroitement à toute initiative permettant d’améliorer la réglementation et la sensibilisation à l’égard des biosolides.
Comme je l’ai écrit en mars dernier, les auteurs des reportages sont plus près de mériter un prix Judith-Jasmin (et/ou un Prix Michener) pour la qualité de leur travail que de recevoir une condamnation en justice. Et je parle en toute connaissance de cause et en toute indépendance.